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s’ennuient jamais. Leur temps se passe à se mirer, à se frotter de pommades; pour elles, l’embonpoint est l’idéal de la beauté, et cet idéal, elles l’atteignent presque toujours. Leur costume, qui ne rappelle en rien les élégances de Stamboul, est très bizarre, surtout pour des personnes d’une telle corpulence. Elles n’ont ni jupes ni robes, mais seulement une large et courte chemisette de soie claire qui ne descend guère plus bas que les hanches; leurs jambes sont enserrées dans des caleçons collans en velours brodé d’or quand elles sont riches ; sur la tête, une coiffure pointue et dorée, moins haute, mais d’une forme analogue à celles qui étaient à la mode chez nous du temps d’Isabeau de Bavière. Elles ont le rire facile et elles bavardent volontiers, elles bavardent indéfiniment : « Notre vie se compose de deux choses, dit un oiseau de Musset : caqueter et nous attifer. Depuis le matin jusqu’à midi, nous nous attifons, et, depuis midi jusqu’au soir, nous caquetons. »

Jamais ces femmes ne sortent, et dans le fait ce ne sont guère que des malheureuses fort vieilles et très misérables qu’on rencontre à pied par la ville, et elles sont sévèrement voilées. Telle femme de Tunis, née dans une maison, mariée dans la famille, est morte dans la même demeure sans avoir jamais mis le pied dans la rue.

Le grand amusement des musulmanes est la visite des bouffonnes qui font métier de les égayer : l’amusement consiste en plaisanteries et en taquineries d’une grossièreté inimaginables, « qu’il est impossible de décrire, dont rien ne peut donner une idée, » disent unanimement les rares Européennes sachant l’arabe, qui ont eu le privilège de prendre part à ces passe-temps. Les Tunisiennes rient et sont fort joyeuses.

Leur chambre de réception est uniformément meublée d’un lit et de divans le long des murs. Le lit est en bois plus ou moins doré, selon la richesse du mari, et plus ou moins orné de glaces. Quand il y a plusieurs femmes, la principale s’assoit sur les divans et les Européennes qui viennent les voir sont admises au même honneur; les autres sont étalées sur des sortes de matelas ou de longs coussins posés à terre. L’été, le pavé de faïence reste nu ; en hiver, on y met des tapis; chez les femmes de médiocre fortune, il n’y a rien de tout ce luxe et le mobilier est fort rare. Du reste, pour le Tunisien ordinaire, l’idée d’une chaise ou d’un fauteuil ne correspond qu’à quelque chose d’encombrant dont il n’est pas commode de se servir. En province surtout, ces objets sont rares; les fonctionnaires eux-mêmes n’y montrent pas ces commencemens de luxe européen qu’on trouve dans la capitale. Vêtus à l’arabe, ils vivent à l’arabe; ils prennent le café accroupis sur les nattes ou sur les banquettes maçonnées et attendent; les visites qu’on leur fait sont interminables parce que les affaires et la vie active sont réduites là à un minimum et que,