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encadre le paysage de collines et la plaine où est le Bardo. Sur la gauche, le second lac de Tunis, la Sebka-Sedjoumi, où il n’y a de l’eau qu’en hiver, luit au soleil qui se couche. Les montagnes, déjà indécises, prennent une teinte bleue veloutée, et un large reflet d’or raie l’eau sombre. De ce côté, aucune maison ne paraît, aucun bruit ne monte, et le soleil semble s’t’teindre dans le désert.


III.

La population et la société tunisienne sont fort mélangées, comme on pense, et ce ne sera pas pour nous un mince triomphe si nous finissons pour amener l’oubli des anciennes querelles et des anciennes inimitiés de race et de religion. À l’heure qu’il est, chaque consul continue à régner sur ses nationaux et à les gouverner: ils ne connaissent pas d’autre souverain et leur groupe, avec ses lois et ses fêtes et son tribunal particulier, forme une petite principauté jalouse qui observe ses voisines et suit leurs progrès d’un œil inquiet. De même, dans le camp indigène, juifs et musulmans, tout en vivant et faisant le commerce côte et côte, se détestent et se méprisent du fond du cœur.

On croit qu’il y a à Tunis cent ou cent vingt mille habitans, dont vingt ou trente mille seraient israélites et dix à quinze mille Européens.

Tout occupés de leurs affaires et de leurs querelles, les Européens se voient peu. Ils se rencontrent au café ou sur la Marine pour parler politique ou commerce ; la nuit venue, chacun s’enferme chez soi, sans qu’il y ait, à une ou deux exceptions près, aucune maison où l’on puisse, comme en Europe, se réunir le soir et chercher l’oubli des ennuis du jour autour de la table à thé. Il n’y a guère d’autres fêtes que les réceptions consulaires, où la curiosité de voir fait oublier pour un moment les jalousies nationales et où tous les camps sont représentés. Mais la fête finie et le jour revenant, chaque commerçant à sa table s’extasie de nouveau sur la grandeur des droits méconnus de ses compatriotes et sur les torts du groupe rival. Car son esprit n’a pas de meilleure récréation ; les vains bruits et les anecdotes étranges foisonnent à Tunis ; chaque mouvement des principales personnalités du grand village européen épars au-devant des murailles, examiné à loisir et au microscope, est l’objet de commentaires infinis ; les fables les plus bizarres, grossissant à chaque heure, prennent en même temps de la consistance et deviennent bientôt des faits avérés.

Outre les cafés, il y a un théâtre, où vient de temps en temps s’arrêter quelque troupe d’Italie, que la mauvaise fortune a poursuivie de province en province. Il n’est jamais arrivé qu’elle