des bords du lac. Adossé à la galerie extérieure qui règne le long des wagons (et qui les rend beaucoup plus confortables que les nôtres), on voit miroiter sur la gauche l’étang salé où se creusera le port. Sur l’eau lisse et lumineuse glissent lentement les barques à voile qui servent au déchargement des navires arrêtés en rade et qui servaient aussi autrefois à conduire à Tunis les passagers. Tout près de terre, dans l’eau immobile, des groupes de flamants roses sommeillent, sans souci de la rumeur des trains en marche ; un d’eux s’envole lentement et fait avec ses ailes de grands mouvemens insoucians. Mais ils reconnaissent les chasseurs de très loin, et c’est en bateau et la nuit qu’il faut venir les chercher. Du côté de la terre, sur le sol brun et riche, des ondulations de blé vert commencent à courir. Des haies de cactus infranchissables bornent les champs: leurs feuilles charnues, d’un vert pâle, collées l’une à l’autre, s’arrondissent et s’entrelacent bien plus haut que les cavaliers arabes qu’on voit galoper dans les champs.
On arrive et on se trouve au milieu du quartier européen de Tunis, et c’est une grave affaire que d’en traverser les rues dans cette saison. Une couche de boue gluante et noire les couvre à une belle hauteur: personne ne balaie, et on attend sans impatience le temps sec ; il faut faire de longs détours pour trouver une piste que les pieds des paysans ont tracée. Au milieu cependant bondissent les charrettes arabes ; ces charrettes jusqu’à l’essieu et les chevaux jusqu’au poitrail, même jusqu’à la croupe, jusqu’au bout du museau, sont couverts d’éclaboussures qui se sont figées et demeurent pendantes. Ce sont, il est vrai, des chevaux de bas étage ; les chevaux et les mules aristocratiques se tiennent mieux et sont bien brossés, mais leurs frères du peuple sont bien intéressans. Les charrettes, comme les harnais, sont d’une simplicité extraordinaire : deux roues larges, réunies par une traverse, au-dessus quatre ou cinq planches, et deux poutrelles plus longues entre lesquelles marche le cheval, c’est tout. En avant des roues est assis de côté l’être jaune ou noir, drapé dans ses guenilles, les jambes pendantes, qui mène la chose, et le tout va sautant, éclaboussant la rue, par un radieux soleil qui fait des étincelles lumineuses dans toute cette boue, sans la sécher.
Telles sont à l’arrivée les premières impressions qu’on éprouve et les premiers objets qui frappent la vue.
A l’heure qu’il est, Tunis est encore une ville arabe; à peine quelques maisons européennes s’élèvent-elles dans l’enceinte de ses