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l’eau lentement du côté de l’Italie. La chapelle a été bâtie en mémoire de saint Louis, troisième mort illustre dont le souvenir est attaché à ce rivage et sur la place aussi où il mourut. C’était du moins l’opinion du consul de France qui choisit l’emplacement ; les savans font mourir le roi ailleurs, dans le petit fortin construit un peu plus bas, vers la mer. Quant aux gens du pays, ils se rappellent très bien le prince franc ; ils savent qu’il abjura ses erreurs et se convertit à la fin à l’islamisme, parce que c’était un prince aimé de Dieu, et c’est pourquoi ils en ont fait aussi un saint à leur façon, qu’on vénère au village voisin de Sidi-bon-Saïd. Quoi qu’il en soit, ce souvenir du premier passage des troupes françaises est touchant, et quand on visite le musée des pères de Carthage, on est ému de voir, dans un coin de vitrine, parmi les débris romains et carthaginois, une monnaie de notre Thibaut de Champagne et une boucle de harnais fleurdelisée, qui paraissent là comme des talismans, au milieu des lampes de terre et des fragmens antiques.

On s’arrête assez loin de terre ; la rade est mauvaise, les vents d’est y soufflent comme en pleine mer. Récemment, un transatlantique est resté près de vingt-quatre heures sans pouvoir mettre ses marchandises à terre ; les passagers purent gagner la rive, mais à grand risque. Des canots maltais emmènent les voyageurs et la mer les secoue fort ; la passe est difficile par le gros temps et très ensablée ; on contourne les lourdes barques à voiles qui sortent lentement du canal et on suit des quais croulans avec des trous, des pierres tombées, des parties noyées dans l’eau, une eau verte avec des odeurs qui rappellent Venise.

Au commencement de la campagne, notre vice-consul ici a dû tout créer, veiller aux subsistances de l’armée, installer un hôpital, alors le seul. C’est là que tous les malades étaient envoyés, un nombre de malades auquel personne ne pouvait croire ni personne ne s’attendait, mais qu’on a encore exagéré en France. Les fatigues, l’appréhension, le moral abattu avaient développé des germes de typhus apportés du pays natal, et l’épidémie se propageait parmi nos soldats. Le climat n’est cependant pas malsain en Tunisie, il est même très salubre pour un climat chaud. L’expérience de La Goulette est d’ailleurs assez concluante : dans la plus mauvaise période, alors qu’il mourait en un mois cent cinquante soldats à nos ambulances, il ne mourait en ville que le nombre accoutumé d’habitans ; aucun n’avait la fièvre, et le foyer d’infection établi près d’eux ne suffisait pas à leur communiquer la maladie. Il y a seulement quelques localités malsaines et fort dangereuses, mais qui sont bien connues, et il y a, en outre, à prendre les précautions usuelles pour préserver sous cette latitude les agglomérations d’hommes de la contagion. Pour n’en avoir pris aucune, la première armée française,