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de l’homme donne de la nature quand, ayant déjà acquis une certaine habileté de main, il a fait son choix, un choix réfléchi, entre les différentes manières de comprendre et d’imiter la forme vivante, entre les différens partis-pris que comporte la plastique ; mais ici il n’y a pas encore de style, il n’y en a pas plus que dans les reliefs de ces dalles sculptées qui ont été retirées par M. Schliemann des tombes de l’acropole, à Mycènes. C’est l’enfance de l’art ou, si l’on veut, l’art de l’enfance. Là comme à Mycènes, comme dans les maquettes cypriotes et dans ces bronzes dont vous nous parlez, il n’y a de conventions que celles qu’un même instinct suggère aux enfans de tous les siècles et à tous les peuples chez lesquels l’art est à l’état naissant. Les débris de la grande stèle nous représenteront donc les premiers et naïfs tâtonnemens du ciseau chaldéen, ce que l’on peut appeler l’art primitif en Chaldée.

Le second groupe, plus curieux encore, se compose des huit statues de dimensions différentes qui portent les inscriptions de Gondéa et d’une neuvième où est gravé un nom que les uns lisent Ourbaou et les autres Likbagous ; on peut y joindre deux têtes, dont la proportion est à peu près la même, et qui ont été retrouvées la première au milieu même des statues mutilées, la seconde dans les ruines d’un édifice voisin ; la facture en paraît la même que celle de ces torses, à l’un desquels une au moins de ces têtes a peut-être appartenu. Le progrès est ici très sensible ; l’art est sorti des hésitations du premier âge ; il s’attaque déjà à la pierre dure avec beaucoup de sûreté et de science. Ce qui frappe ici, c’est d’ailleurs moins le mérite de la difficulté vaincue que le sentiment de la nature et la recherche de la vérité, recherche où l’artiste n’a pas été rebuté par la résistance de la matière. Cette résistance lui a imposé un travail qui procède par grands plans lisses, et cependant, malgré cette nécessite, le modelé garde une franchise que lui ont souvent fait perdre en Égypte, dans les monumens de granit ou de diorite, l’usage et l’abus du polissoir. L’épaule droite et le bras droit, laissés à découvert, sont des morceaux souvent remarquables ; ils sont traités avec une ampleur qui donne à toute la figure, d’ailleurs robuste et trapue, un grand air de force ; cependant la vigueur de l’accent reste ici sobre et discrète. Même caractère dans les mains, où les phalanges et les ongles sont étudiés avec un soin minutieux, mais sans petitesse, et dans les pieds, où l’on remarquera la solidité de la pose, ainsi que le dessin très marqué de la cheville, et des orteils.

La facture n’est pas moins large et moins bonne dans les deux têtes. Les yeux sont droits et largement ouverts ; les sourcils, très fournis, se rejoignent ; le menton ferme et saillant est rasé, comme aussi le dessus du crâne ; l’usage ne s’est d’une pas encore introduit de porter cette longue barbe et cette chevelure épaisse, toutes