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firent croire aux Arabes, très fiers de leur prouesse, qu’ils avaient louché quelques-uns des brigands ; mais on n’eut aucune raison de croire qu’aucun de ceux-ci ait été tué, et ce fut un grand bonheur que tout se soit borné à des égratignures. S’il y avait eu des morts, la situation fût devenue dangereuse ; la tribu des agresseurs aurait pu se croire engagée d’honneur à les venger ; on aurait risqué d’avoir sur les bras non plus quelques maraudeurs, toujours prompts à tourner casaque, mais des forces assez considérables et des gens assez excités pour qu’il devînt nécessaire de tout quitter et de battre en retraite.

S’il fallait ainsi beaucoup de vigilance pour n’être pas pillé pendant la nuit, on n’avait guère moins de peine à prendre pour n’être n’être pas trop volé, pendant le jour, par les ouvriers mêmes que l’on employait. Ces hommes auraient bravement défendu M. de Sarzec contre les brigands ; mais ils ne se faisaient aucun scrupule de dérober les menus fragmens, tous ceux du moins qui se laissaient aisément dissimuler. M. et Mme de Sarzec avaient beau être toujours sur le terrain, se multipliant pour surveiller toutes les tranchées ; sous leurs yeux mêmes, pour peu qu’ils les détournassent un instant, d’un mouvement rapide un Arabe saisissait le petit bronze qu’il avait senti retentir sous le fer de sa pelle ; il le cachait dans l’espèce de poche que faisait, sur sa poitrine, sa longue chemise serrée à la taille par une corde.

On était, heureusement, fort loin de tout endroit habité, et les Arabes étaient pressés de réaliser le bénéfice qu’ils comptaient tirer de ces larcins ; peut-être aussi M. de Sarzec leur paraissait-il avoir la main plus ouverte que les juifs de Bagdad et de Bassorah, auxquels ils ont coutume d’aller vendre les cylindres, les tablettes d’argile, les morceaux de métal ou d’ivoire que souvent ils recueillent dans les ruines en remuant du bout de leurs lances la poussière des tells ou en brisant les sarcophages de terre cuite. Pour être sûr de ressaisir les objets que lui avaient volés ses ouvriers, M. de Sarzec feignait d’être leur dupe ; le stratagème auquel on avait recours afin de le tromper était pourtant bien naïf. Les femmes avaient accompagné leurs maris dans le village qui s’improvisait chaque année, autour de la tente consulaire, sur la rive du canal ; c’étaient elles, presque toujours, qui se chargeaient d’écouler le bien mal acquis et de jouer la comédie à laquelle se prêtait le principal intéressé. Le soir, pendant que M. de Sarzec était assis auprès du feu, une femme s’approchait de lui : « Bey, disait-elle, voilà ce que j’ai trouvé en grattant la terre ici pendant que vous étiez à l’ouvrage là-bas, » et elle lui montrait un fragment dont l’origine ne pouvait être douteuse ; il devait être sorti de l’une des dernières tranchées de Tello.