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comme celle de l’Egypte ou du désert ; c’est que Bagdad n’est pas, comme Bassorah, entouré de marais et voisin de la mer. On peut donc, à Bagdad, jouir du plaisir exquis de boire frais. Ce n’est pas que l’on y ait des fontaines ; pas une source ne jaillit dans toute l’étendue de la plaine d’alluvion, unie comme une glace, qui commence à Hit sur l’Euphrate et un peu au-dessous de Samarah sur le Tigre, pour se continuer, sur une longueur d’environ cent lieues, jusqu’aux grèves du Golfe-Persique. Point de neige non plus ou de glace ; les montagnes sont trop loin ; mais on a les alcarazas, qui, placés dans un courant d’air, donnent à Bagdad une eau si froide qu’elle fait parfois presque mal aux dents. À Bassorah, dans cet air saturé de vapeur aqueuse, on n’a pas la même ressource. On n’y boit donc, pendant l’été, pendant ses journées brûlantes et ses nuits qui ne sont guère moins étouffantes, qu’une eau chaude et malsaine, celle du Chat-El-Arab ; avant d’arriver au large fleuve qui l’emporte enfin vers la mer, elle a séjourné, elle s’est endormie dans les marais, où abondent les débris végétaux en décomposition ; elle a pris là une couleur verdâtre et un mauvais goût qui la rendent déplaisante et malsaine.

Dans de telles conditions, ce ne peut être une résidence salubre que Bassorah. Les influences paludéennes y sont puissantes et souvent mortelles. Là fleurissent toutes les variétés de la fièvre. Celle-ci débilite l’estomac ; elle fait grossir le foie et la rate ; les accès, un moment suspendus par la quinine, reparaissent et persistent sans plus céder à l’action du remède. M. de Sarzec a rapporté des quatre ou cinq années qu’il a passés dans ce pays une santé profondément altérée ; encore y avait-il alors à Bassorah, par le plus imprévu des hasards, un excellent médecin.

Dans un pareil pays, on a besoin de distractions ; mais ce n’est pas à la correspondance et à la lecture des gazettes qu’il faut les demander. Sans doute, quand enfin ils arrivent, journaux et lettres, sont les bien venus ; mais ils ont été si longtemps en route ! S’ils ont passé par le Golfe-Persique, ils ont deux mois de date ; s’ils ont pu prendre le chemin du désert, par Alexandrette, Alep et Bagdad, ils sont toujours vieux de près d’un mois. Lors donc qu’on les tient en main, lorsqu’on les lit avec un empressement fiévreux, sait-on si les êtres chéris dont la main a tracé ces lignes sont encore bien portans ou même s’ils sont en vie ? sait-on si le ministère, dont les triomphes remplissent les colonnes du journal, n’a pas déjà disparu au lendemain d’un vote de confiance ? On ne s’intéresse qu’à demi à de si vieilles nouvelles.

Entre Bagdad même et Bassorah les relations, quoique fréquentes, comportent encore bien des retards et bien des accidens. Outre les barques arabes qui naviguent à la voile et à la traîne, il y