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à côté du roi ; il en est comme le vivant symbole et le héraut à la voix profonde. Bientôt après cette première présentation, M. de Sarzec, ayant pris son audience de congé, regardait le roi partir pour aller combattre les Égyptiens ; ceux-ci venaient d’envahir le nord de l’Abyssinie. La lance à la main et le casque au front, le négus, comme un pharaon d’autrefois, était assis sur son char de guerre. Devant lui marchaient huit lions tenus en laisse. Chacun d’eux avait au col une chaîne d’argent dont l’autre bout était dans la main d’un page. C’est aux vieilles dynasties thébaines que doivent remonter, par l’intermédiaire du royaume d’Éthiopie, cet usage et ce cérémonial. Dans un bas-relief de Médinet-Abou, on voit un lion courir auprès du char de Ramsès III et se précipiter, avec le conquérant, à la rencontre de l’ennemi.

Malgré le peu d’importance du poste et l’apparente monotonie de l’existence, ce séjour à Massaouah, coupé par trois voyages en Abyssinie, fut pour M. de Sarzec un excellent noviciat. En Égypte comme en Abyssinie, une expérience de tous les jours lui apprit la vraie manière de traiter avec les Orientaux ; elle l’avertit que, pour tout obtenir d’eux, il convient de ne se montrer à leur égard juste, humain et miséricordieux qu’après avoir débuté par leur donner une haute idée de sa force, fût-ce en se faisant violence pour paraître insolent. Sur la côte, notre agent acquit la connaissance et la pratique de la langue arabe. Nommé en 1875 à Bassorah, il ne changeait pas sensiblement de milieu. Quoique capitale d’un villayet ou grand gouvernement turc, Bassorah, près du confluent de l’Euphrate et du Tigre, est en terre arabe. L’arabe est le seul idiome dont se servent les tribus qui parcourent les plaines de la basse Chaldée. M. de Sarzec, dans son nouveau poste, ne se trouvait donc pas dépaysé. Les bureaux des affaires étrangères, — une fois n’est pas coutume, — avaient tenu compte des antécédens et des aptitudes du fonctionnaire à pourvoir ; ils l’avaient nommé à une place qui lui convenait et où, de prime abord, il pouvait rendre d’utiles services.

Pas plus que celui de Massaouah, le poste de Bassorah n’était un poste d’action et d’affaires ; on venait de le créer en vue de renseigner le commerce français sur les débouchés qu’il pouvait trouver de ce côté et sur les profits à tirer de relations commerciales plus étroites entre nos ports et les marchés du Golfe-Persique. Cette région produit surtout, pour l’exportation, d’assez grandes quantités de peaux et de laines. Jusqu’à ces derniers temps, tous ceux qui voulaient introduire ces denrées en France étaient obligés de subir la loi des capitaines anglais ; ceux-ci, qui seuls fréquentaient ces parages, faisaient payer le fret très cher aux maisons françaises. Aujourd’hui, une ligne de bateaux à vapeur relie directement Marseille à Bassorah.