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naïves feront-elles sourire l’homme du métier qui les surprend au passage ; mais il n’en est pas moins vrai que, sans apprentissage professionnel et sans initiation spéciale, le peuple de Paris, par un effet naturel de la vivacité et de la curiosité de son esprit, fréquente volontiers les musées.

Toute proportion gardée, ceux qui vont peut-être le moins au Louvre, ce sont les gens du monde, ce sont ces gens de large loisir auxquels semblent avoir surtout songé nos anciens rois et les divers gouvernemens qui leur ont succédé, quand ils ont à grands frais, depuis François Ier acquis tous ces chefs-d’œuvre que renferment aujourd’hui les salles du Louvre. Dans les cercles qui se croient distingués, on affiche bien le goût des arts ; on tient à honneur de se montrer au salon le jour du vernissage ; on ne manque pas une de ces expositions restreintes, qui, depuis quelques temps, sont si fort à la mode ; on suit les ventes en renom et l’on y fait de prudentes folies ; on achète très cher de petits tableaux que l’on espère bien revendre plus cher encore ; on cause même volontiers peinture et l’on a soin d’employer les termes de métier que l’on a saisis au vol, car ou a ses entrées dans quelques ateliers, et l’on est abonné aux revues où écrivent les critiques en vogue, ceux qui font et défont les réputations. Rien de mieux ; mais, neuf fois sur dix, on embarrasserait fort ces grands connaisseurs si l’on s’avisait de les interroger sur telle statue ou tel tableau que le Louvre aurait reçus dans le courant de l’année ou même l’année précédente. Peut-être pourront-ils se donner l’air d’être au courant si l’acquisition a fait quelque bruit, si elle a été vivement critiquée et dénoncée à l’indignation publique par ceux qui voudraient prendre la place des conservateurs du Musée ; dans ce cas, notre amateur se sera peut-être décidé, non sans effort, à juger par lui-même des mérites de l’œuvre si vivement discutée. Au contraire, s’il n’a pas été averti par une polémique retentissante, il ne saura de quoi vous voulez lui parler, les monumens en question eussent-ils une valeur capitale par leur beauté propre ou par la place qu’ils viennent prendre dans quelque importante série.

Le Louvre s’est enrichi récemment de curieuses fresques de Botticelli ; grâce au savoir et au goût de MM. Saglio et Courajod, il a su trouver encore, en Italie, de belles terres cuites et plusieurs nobles marbres qui portent le cachet du plus pur style de la Toscane. Or, parmi les personnes mêmes qui passent pour appartenir à l’élite de la société parisienne, combien en est-il qui connaissent déjà ces objets d’un si haut prix ? Grâce à l’insistance de ces mêmes conservateurs, un crédit spécial a permis d’acheter la collection Timbal, qui comprend des pièces de la renaissance italienne dont quelques-unes