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Il avait été aidé dans son travail de négociation par un ministre, M. de Rémusat, qui n’avait accepté la direction des affaires étrangères que par dévoûment au bien public, par amitié, et qui était l’homme le mieux fait pour traiter avec dignité au nom d’une nation vaincue. Il avait eu aussi sûrement pour les opérations financières l’appui de l’assemblée, sans laquelle il ne pouvait rien. Il avait trouvé tous les concours, il avait animé tout le monde de son feu, stimulé lui-même par les difficultés et par la grandeur de l’entreprise : il touchait maintenant le but. Ce succès de politique nationale n’était cependant pas tout dans la situation créée à la France par des malheurs sans mesure ; en assurant la fin prochaine de l’occupation étrangère, il démasquait pour ainsi dire ou ravivait des crises intérieures toujours près d’éclater, à peine contenues jusque-là par le patriotisme, et c’est ici comme une autre partie de cette histoire de deux ans, la partie des déchiremens intestins, des guerres d’opinions, des luttes pour les institutions définitives.

Éternel retour des choses! lorsque le duc de Richelieu dont je parlais revenait en 1818 du congrès d’Aix-la-Chapelle après avoir obtenu des souverains alliés la liberté de la France, il tombait au milieu des passions excitées à Paris ; il trouvait les partis déchaînés, et bientôt cet homme de bien qui venait de rendre le plus éminent des services disparaissait dans les conflits intérieurs, obtenant tout au plus d’un parlement oublieux le vote marchandé d’une dotation que sa fierté offensée dédaignait. A plus d’un demi-siècle de distance, M. Thiers avait le même destin dans ses rapports avec les partis, avec une assemblée dont il ne cessait de se dire le délégué, mais à laquelle il s’était réservé le droit de résister. Tant que la libération restait encore incertaine, cette idée seule suffisait à dominer tous les dissentimens. Il y avait souvent des querelles, même de vives querelles, — qui s’apaisaient bientôt sous l’influence de la nécessité. A mesure qu’on approchait du terme, les luttes intestines se multipliaient, s’envenimaient, et par une saisissante coïncidence, M. Thiers avait à peine assuré la délivrance du territoire que déjà il était près de disparaître, lui aussi, dans l’ardente mêlée des partis contraires. Comment en était-il ainsi? Par quel enchaînement de péripéties le traité libératoire du 15 mars se trouvait-il n’être que le préliminaire du 24 mai 1873? C’est là justement cet autre drame des conflits intérieurs, engagé, à vrai dire, depuis le premier jour, poursuivi pendant deux années à travers mille péripéties de parlement, dénoué au dernier moment par une crise nouvelle dont les conséquences ne sont pas encore épuisées.


CH. DE MAZADE.