Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/523

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assurées dans tous les cas au trésor français par les souscriptions publiques, il restait à les transformer en valeurs libératoires, à les compter à Berlin ou dans les principales villes de commerce de l’Allemagne. M. de Bismarck, en calculateur prévoyant et inflexible, avait fait ses conditions avec une redoutable et méticuleuse précision; il avait aggravé en quelque sorte le poids de l’indemnité par le mode d’acquittement qu’il avait imposé. Tous les paiemens devaient être effectués en monnaie d’or ou d’argent, en billets de banque d’Angleterre, de Prusse, des Pays-Bas, de Belgique, en billets à ordre ou lettres de change négociables, valeur comptant. La forme des paiemens, la nature des valeurs acceptées, le taux de la conversion des monnaies, tout avait été prévu.

C’était la loi, le gouvernement français ne pouvait s’y soustraire. Il avait, il est vrai, trouvé quelque facilité pour les premiers paiemens par une compensation de 325 millions, prix d’une partie du chemin de fer de l’Est, et par exception l’Allemagne avait accepté une seule fois 125 millions en billets de la Banque de France ; mais comme, à part ces déductions, il y avait à ajouter et les intérêts de l’indemnité jusqu’à l’échéance et les frais d’entretien des troupes d’occupation et bien d’autres choses encore, c’était toujours une somme de plus de cinq milliards à transporter, à compter dans les conditions fixées par le vainqueur. Payer exclusivement en numéraire, on n’avait pas pu même y songer. Il avait donc fallu se mettre à la recherche des valeurs exigées par le vainqueur, engager une gigantesque campagne de change. M. Thiers, au moment où il avait déjà abordé cette vaste entreprise, l’avait dit dans l’assemblée à ceux qui ne cessaient de l’aiguillonner; il avait mis à nu le point vif, la difficulté de remuer et de déplacer de telles masses d’argent. «Voici ce qu’il faut que vous sachiez, ajoutait-il. Si nous avions à payer à Paris, oh ! certainement, avec quelques sacrifices d’escompte, nous aurions trouvé les millions, et la chose eût été facile; mais ce n’est pas à Paris qu’il faut payer : il faut payer dans toutes les grandes villes commerciales de l’Allemagne. Or la difficulté de l’opération, savez-vous où elle est? Elle est dans le transport de ces valeurs énormes hors de Paris. Si nous voulions les transporter en numéraire, nous produirions sur-le-champ une crise monétaire effroyable. Nous ne pouvons les transporter en marchandises; cela ne dépend pas de nous; nous ne faisons pas le commerce; nous ne pouvons nous servir que des résultats du commerce, de ce qu’on appelle des traites de place à place. Or ces traites expriment, — quoi? Le commerce réel... Croyez-vous que nous ayons avec l’Allemagne un commerce suffisant pour trouver 1 milliard, 1 milliard 500 millions de traites? Non, nous nous sommes servis du crédit et non-seulement