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les moyens qu’ils allaient employer étaient ceux qui convenaient. « Ceux-là se sont gravement trompés, a-t-il dit; ils ont prolongé la défense au-delà de toute raison. Ils ont employé les moyens les plus mal conçus qu’on ait employés à aucune époque, dans aucune guerre. Oui, nous étions tous révoltés contre cette politique de fous furieux qui mettait la France dans le plus grand péril. « Il était donc pour la paix par raison, par nécessité, parce qu’il voyait bien l’impuissance définitive de cette dictature effervescente qui mêlait le fanatisme de parti au patriotisme et s’exposait à doubler les pertes, les sacrifices du pays ; mais ce qui le révoltait surtout, peut-être encore plus que la guerre à outrance elle-même, c’était la prétention de disposer de tout, de tout trancher sans consulter la France, en suspendant tous les droits publics. « Pour moi, disait-il quelques mois après, j’ai lutté autant qu’on le pouvait, à Tours et à Bordeaux, contre cette prétention antinationale, arrogante, insolente, de vouloir, à quelques-uns qu’on était, se substituer à tous contre la France elle-même, quand il s’agissait de son salut... Je l’ai dit aux hommes entre les mains desquels se trouvait le gouvernement, et je ne suis pas assez exact en disant : aux hommes; en réalité, le gouvernement se trouvait dans la main d’un seul homme... »

M. Thiers ne cessait de tenir le langage de la prévoyance, au risque d’importuner les maîtres du jour et de se rendre suspect à M. Gambetta, qui le traitait en ennemi, en fauteur de découragement, quoi encore? — en orléaniste! c’était tout dire! Il n’était qu’un patriote éprouvé et clairvoyant, osant, opposer la vérité aux illusions et aux infatuations. Réfugié à Bordeaux, dans cette ville devenue le bruyant caravansérail de la défense, campé dans un petit appartement d’auberge, il voyait s’empresser autour de lui des amis, des indifférens et même des inconnus qui se plaisaient à recueillir ses paroles, qui se retiraient séduits et éclairés par ses conversations toujours vives. Pour tous il restait, auprès d’un pouvoir emporté par la passion, l’homme de la paix nécessaire, de la réunion d’une assemblée, de la renaissance d’un gouvernement régulier, — comme une réserve de prudence et de bon conseil dans les malheurs croissans du pays. Il grandissait dans l’opinion à mesure que les événemens s’aggravaient, et c’est ainsi qu’au moment où la crise suprême éclatait par la chute de Paris après cinq mois de siège, par l’armistice, après l’évanouissement de toutes les espérances, le plénipotentiaire de Londres, de Pétersbourg et de Versailles se trouvait appelé à être le conseiller, le guide de cette situation nouvelle. Le jour où, en dépit des dernières convulsions d’une dictature aussi anarchique que guerrière, le scrutin s’ouvrait enfin dans le pays tout entier, un mouvement spontané, extraordinaire, faisait de M. Thiers l’élu de vingt-six départemens. Du même coup, la France