Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en secret à Paris; ils avaient trouvé asile chez un ami sûr. Émus des malheurs du pays, ils ne demandaient qu’à servir au poste qu’on leur donnerait, et, chose curieuse, ce n’est que par un de leurs représentans que le gouvernement apprenait un incident dont il ne laissait pas d’être embarrassé. Informé avant le gouvernement lui-même de la présence des princes qu’il aimait, M. Thiers n’avait pas hésité à se prononcer avec quelque vivacité contre un voyage qui, à ses yeux, pouvait avoir les plus dangereuses conséquences au milieu des excitations et des divisions des esprits. Son opinion était décisive. M. Thiers croyait en toute sincérité que ce qu’il y avait de mieux pour le moment était de laisser le pouvoir nouveau à son œuvre plus que difficile, — résolu, quant à lui, à se tenir en dehors de tout, à attendre les événemens. Il s’était déjà préparé aux épreuves d’un siège dont on ne prévoyait guère la durée et les suites, lorsqu’un jour, à l’approche de l’ennemi, il recevait la visite de M. Jules Favre, qu’il n’avait pas revu depuis le 4 septembre, qui représentait la diplomatie de la défense nationale. M. Jules Favre venait lui demander d’être auprès de l’Europe, auprès de l’Angleterre, comme des autres puissances, non l’ambassadeur attitré d’un gouvernement qui n’était pas reconnu, mais un plénipotentiaire supérieur chargé de parler pour la France, d’intéresser les cabinets à sa cause. Le premier mouvement de M. Thiers avait été de refuser. A la réflexion cependant, après s’être concerté avec ses amis, il se disait qu’il n’avait pas le droit de se dérober au service de la France, que, par ses relations personnelles dans les grandes cours, il avait peut-être plus que tout autre les moyens de se faire écouter et que, sans parler pour le moment d’une paix trop difficile, il pourrait du moins préparer un armistice qui permettrait de faire élire une assemblée nationale, de reconstituer un vrai gouvernement. Il se décidait à accepter dans ces conditions, et profitant du dernier train du Nord avant l’investissement, franchissant le pont de Creil qu’on faisait sauter après son passage, il s’éloignait de Paris, qu’il ne devait revoir que dans les circonstances les plus tragiques.

Parcourir l’Europe du midi au nord, aller de Londres à Saint-Pétersbourg, de Saint-Pétersbourg à Vienne et à Florence, c’était certes du dévoûment de la part de ce septuagénaire conduit sur les routes du monde par la passion du pays. M. Thiers avait d’ailleurs peu d’illusions, moins que « son ministre, » M. Jules Favre, qui, de son côté, allait aborder directement M. de Bismarck, à Ferrières. Il avait trop manié les grandes affaires de la diplomatie et de la guerre pour se payer de déclamations, pour se figurer que la France, au point où elle était tombée, n’aurait à livrer « ni un pouce de son territoire, ni une pierre de ses forteresses. » Il jugeait la situation en politique expérimenté, en homme qui ne s’abusait, ni sur les