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en Irlande. Tout dernièrement encore, il a proposé ce qu’on a appelé le « bill des arrérages, » un acte destiné à réaliser une sorte de liquidation dans les rapports des landlords et des tenanciers, et, pour faire passer ce dernier bill, il n’a pas craint de braver une crise parlementaire des plus graves, provoquée par la résistance de la chambre des pairs ; il a réussi à désarmer cette résistance en dépit de l’opiniâtre opposition de lord Salisbury. Ces mesures libérales auront sans doute leur effet avec le temps. Malheureusement on n’en est pas encore là, et depuis l’effroyable attentat dont lord Cavendish a été la victime, les crimes sont bien loin d’avoir cessé ; ils se sont plutôt multipliés, au contraire, dans ces dernières semaines.

La situation de l’Irlande reste par le fait assez grave pour nécessiter une sorte d’état de siège en permanence et l’emploi de tous les moyens de coercition, — pour être, dans tous les cas, un cruel embarras. Elle s’est même compliquée, il y a quelques jours, d’un incident au moins bizarre qui ne laisse pas de révéler à sa manière le trouble profond de ce malheureux pays. Il n’est pas jusqu’aux constables qui ne se soient mis de la partie. Un certain nombre des agens de la police ont tenu un meeting pour réclamer une amélioration de traitement, et, comme ces singuliers manifestans ont été l’objet de rigueurs assez méritées, tous leurs compagnons, même ceux qui n’avaient pas pris part à la manifestation, ont un instant donné leur démission. C’était une sorte de grève de la police. Ce n’est pas que les constables fissent cause commune avec ceux qu’ils ont chaque jour à poursuivre, mais il est bien clair que leur désertion à un pareil moment devait être le prétexte de nouveaux troubles en encourageant les agitateurs et en laissant les autorités de l’île désarmées. Dublin a eu ses émeutes, et il a fallu employer la force militaire en attendant le retour de la police à la raison. À tout cela est venu se mêler un autre incident, qui n’est ni moins grave ni moins caractéristique. M. Edmund Dwyer Gray, qui est à la fois membre de la chambre des communes, haut shérif de Dublin et propriétaire du Freeman’s Journal, a publié ou laissé publier sous sa responsabilité de virulentes attaques contre la justice irlandaise. Par ordre de M. Lawson, président du tribunal, M. Dwyer Gray a été mis en jugement et condamné à trois mois de prison, en vertu de l’acte de « préservation » ou de coercition ; il a été aussitôt incarcéré. Nouveau sujet d’émotion publique. Les embarras se succèdent ainsi, de sorte que le gouvernement, de quelque côté qu’il se tourne, se trouve aux prises avec des difficultés intérieures et extérieures qui, forcément, font dévier sa politique.

Le ministère anglais fait la guerre d’Égypte après avoir promis la paix et avoir réprouvé les expéditions lointaines ; il reste en face d’une persistante agitation irlandaise, qu’il ne peut contenir que par la force.