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moment à Londres. Le cabinet libéral, en un mot, a voulu en finir le moins mal possible avec les expéditions lointaines pour rester au pouvoir le représentant de la politique de la paix partout et toujours. C’était son programme extérieur. Qu’est-il arrivé cependant ? À peine deux années sont-elles passées, c’est ce même ministère de M. Gladstone qui se trouve engagé dans une entreprise bien autrement grave, dans ces affaires d’Égypte, où tout est compliqué et encore assez obscur. Il ne s’agit plus seulement de quelques milliers d’hommes engagés dans une contrée éloignée pour mettre à la raison une peuplade barbare. C’est toute une armée qu’il faut organiser, équiper, outiller à grands frais, pour soutenir une guerre sérieuse contre un adversaire qui ne paraît manquer ni de résolution, ni d’habileté, sur un terrain où se rencontrent toutes les compétitions européennes. D’un seul coup, en une seule fois, le cabinet libéral dépasse tout ce qu’a fait le cabinet tory auquel il a succédé. Le chef des conservateurs dans la chambre des communes, sir Stafford Northcote, disait récemment dans une réunion : « Qui nous eût dit que M. Gladstone emprunterait un jour sa politique à lord Beaconsfield ? » Un des membres les plus émiriens du parti libéral, dans une lettre récente à M. Emile de Laveleye, qui vient d’écrire une étude intéressante sur la Question égyptienne'', faisait de son côté cet aveu significatif : a N’est-ce pas une étrange fatalité que ce soit M. Gladstone qui soit forcé d’entrer, bien malgré lui, dans une voie qui peut conduire à pousser ce qu’on appelle la politique impériale bien au-delà de ce qu’avait osé même lord Beaconsfield ? » C’est qu’en définitive, les gouvernemens ont beau avoir des programmes, ils ne font pas toujours ce qu’ils veulent, et la politique extérieure d’une grande nation ne change pas avec un cabinet. Le ministère Gladstone a voulu la paix, cela n’est pas douteux, c’était son intention, son système ; il ne fait pas moins la guerre, une guerre sérieuse, d’un ordre particulièrement délicat, et cette guerre, il la fait, sans craindre de paraître se désavouer, dans des circonstances où ce n’est pas même le seul désaveu que des embarras d’un autre genre, d’une nature tout intérieure, l’obligent à se donner.

Ce qui se passe, en effet, dans les affaires égyptiennes est un peu l’histoire de la politique ministérielle dans les affaires d’Irlande. Le cabinet libéral, à son avènement, a proclamé bien haut l’intention d’en finir avec les troubles irlandais par les plus larges satisfactions accordées à l’île sœur, et il a été bientôt réduit à revenir aux procédés draconiens, à un bill de coercition, à des moyens répressifs que les conservateurs eux-mêmes auraient hésité peut-être à employer ou à proposer. M. Gladstone n’a point sans doute manqué à ses promesses libérales et réformatrices. Depuis qu’il est au pouvoir, il a obtenu du parlement le vote du land-act, qui était comme une révolution sociale