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Maintenant, que Descartes et le cartésianisme soient pour quelque chose, même indirectement, dans l’indifférence du XVIIe siècle à la nature ou dans les tendances de l’art classique vers l’optimisme, il est inutile de revenir à la question, et nous l’avons déjà rencontrée. Mieux vaut donc essayer, en terminant, de ramener le livre de M. Krantz à son principe, et de discerner l’élément absolu d’erreur qui s’y mêle à une part certaine de vérité. Si nous admettons avec M. Krantz que l’art classique soit tout entier dans la Princesse de Clèves, les préfaces de Racine et l’Art poétique de Boileau, sa thèse n’est pas peut-être absolument démontrée, mais il semble qu’en s’y prenant bien, et par exemple comme il s’y est pris, on puisse la pousser jusqu’à ce point de vraisemblance où la critique excuse l’impossibilité d’une démonstration plus claire sur la nature même et particulièrement la complexité du sujet. On peut aller plus loin. Si l’on ajoute, en effet, aux seuls écrivains qu’il ait cités quelques écrivains encore, dont on est d’ailleurs étonné qu’il n’ait pas invoqué les œuvres et le nom, — tels que Regnard lui-même, par exemple, ou Quinault, ou Boursault, et, dans un autre genre tels que le grand Arnauld, Nicole ou peut-être même Bourdaloue, — sa thèse demeure encore presque tout entière ; et par quelque endroit, de quelque façon que se soit insinuée l’influence cartésienne, les rapports sont certains. Voulez-vous un poète, et un vrai poète, vraiment « galant, » et vraiment « tendre, » qui plus naturellement et plus aveuglément qu’aucun autre, à en juger par les œuvres, ait cru que la beauté consistait dans le vague et dans l’indétermination ? c’est l’auteur d’Astrate et de la Mère coquette. Mais un orateur qui « divise les difficultés en autant de parcelles qu’il est requis pour les résoudre, » et qui « conduit ses pensées par ordre, en commençant par li s plus simples pour s’élever aux plus générales, » assurément c’est Bourdaloue, si vous n’aimez mieux que ce soit Massillon Descendez maintenant d’un, deux, trois, quatre degrés. Car c’est un bien grand talent encore que celui de Massillon, bien flexible, bien riche ; et, parmi les auteurs dramatiques, Pradon avec Boyer ne font pas la monnaie de Quinault. J’avoue que j’ai peu lu ces auteurs, mais je serais très surpris si la loi ne continuait pas de se vérifier, et sa formule d’envelopper une foule de plus en plus nombreuse.

Qu’est-ce à dire ; sinon que ces méthodes sont suffisamment exactes et qu’elles conduisent à des résultats vrais, que confirme l’histoire, quand on a soin de ne les appliquer qu’aux écrivains sans nom, aux talens secondaires, et jusqu’aux œuvres inférieures de quelques grands talens eux-mêmes ? J’ai tâché de montrer que les résultats s’évanouissaient au contraire à la clarté de l’histoire et que les méthodes perdaient toute leur exactitude, quand on voulait les appliquer à ceux qui ne sont point nés pour être confondus avec la multitude, mais pour en être distingués, et plus profondément distingués encore les uns d’avec