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l’art, pour obtenir en quelque manière une ressemblance plus exacte et plus parlante avec la vie; le XVIIIe, au contraire, s’imagine que ce qui doit d’abord se réfléchir dans l’œuvre d’art, c’est son auteur, ou même que l’œuvre d’art n’a pour objet que de le manifester. Voilà pour la forme. Et tandis enfin que le XVIIe siècle, le plus désintéressé, le moins charlatan, si je puis ainsi dire, des grands siècles littéraires, ne se soucie dans l’art que de l’art, et de ce qu’il apporte de complément à la culture de l’esprit; le XVIIIe siècle, au contraire, ne le traite plus que comme un instrument de propagande et cherche le moyen de déposer jusque dans la peinture des intentions de réforme politique et des germes de progrès social. Voilà pour le but. Mais là où le but, où la forme, où le fond diffèrent, peut-on dire qu’il y ait continuité des traditions? et là, où d’un siècle à l’autre, il y a contradiction du fond, de la forme, et du but, peut-on véritablement soutenir que le même esprit continue de régner?

Sans doute, après cela, l’observation n’est pas vraie de tous les hommes du XVIIIe siècle indistinctement et généralement. Il suffit qu’elle le soit des plus grands ou des plus illustres, et que ce qui ne conviendrait pas exactement à l’un convienne du moins à l’autre, et que le plus rebelle aux influences de son temps ne laisse pas de les subir plus qu’il ne croit lui-même. C’est ce que je répondrais sur l’usage que M. Krantz fait de l’esthétique de Buffon et de son Discours sur le style, si toutefois je comprenais la réputation que l’on a faite à ce morceau de rhétorique. Il est toujours mauvais, je le sais, en ces questions de goût et d’appréciation littéraire, de n’avoir pas M. Nisard avec soi. Je n’ai pu cependant réussir à me persuader que le Discours sur le style doive conserver, comme il l’a dit, « l’autorité d’un enseignement. » La gloire de Buffon est ailleurs, dans ces constructions hardies dont la magnificence de son style a quelquefois égalé la grandeur, mais dont la nature même le rendait particulièrement inhabile à faire la théorie de ce style propre, exact et libre, qui est le style du XVIIe siècle.

Il nous resterait à examiner ce que M. Krantz appelle les Conséquences indirectes de l’influence cartésienne sur la littérature classique. Nous nous contenterons de quelques observations rapides. La première de ces conséquences est l’Élimination du Burlesque. M. Krantz nous explique par d’excellentes raisons, spirituellement dites, l’antipathie foncière de Boileau pour les Scarron et les d’Assoucy. J’aurais voulu qu’il ajoutât deux mots : c’est que la guerre contre le burlesque fut dirigée presque au nom et au profit d’un certain naturalisme. Les quatre vers bien connus de La Fontaine :


Nous avons changé de méthode.
Jodelet n’est plus à la mode,
Et maintenant il ne faut pas
Quitter la nature d’un pas,