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hâte. Notons cette remarquable déclaration de Racine: « Quand je ne devrais à Euripide que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais dire que je lui dois peut-être ce que j’ai mis de plus raisonnable au théâtre. » Elle est en effet caractéristique. Signalons ces vers, si nombreux dans l’Art poétique, où Boileau revient sur le prix, la dignité, l’importance de la raison dans l’an :


... Mais la scène demande une exacte raison,
... Et, souple à la raison, corrigez sans murmure.
... Mais nous que la raison à ses règles engage...


Considérons un peu ces épithètes abstraites et décolorées dont se sert l’auteur de la Princesse de Clèves, et non pas pour analyser le sentiment, mais pour peindre le portrait, c’est-à-dire ce qu’il devrait y avoir en art de plus caractérisé, de plus concret, de plus individuel : « Mme Elisabeth... commençait à faire paraître un esprit surprenant et cette incomparable beauté... Marie Stuart était une personne parfaite pour l’esprit et pour le corps... Le duc de Nevers avait trois fils parfaitement bien faits... Le duc de Nemours était un chef-d’œuvre de la nature... » N’est-il pas vrai que leur souci semble être à tous d’écarter la couleur et la forme, la succession et l’accident, comme disent les philosophes, de ne retenir de l’homme ou des choses que leur essence, et de résoudre, comme dit M. Krantz, la perfection esthétique « en une impersonnalité absolue? »

C’est ce que je nie absolument. Et d’abord, parce que sur trois, deux au moins de ces exemples sont assez mal choisis. Le roman de Mme de La Fayette est charmant, il est élégant, délicat, discret, tout ce que l’on voudra : ce n’est pas du grand art, c’est à peine de l’art, mais c’est encore bien moins une œuvre qui compte en histoire. M. Taine, dans ses Essais de critique et d’histoire, en a très agréablement et très spirituellement parlé; M. Paul Albert lui a consacré tout un chapitre de sa Littérature française au XVIIe siècle : l’un et l’autre avait ses raisons. Mais dans le Siècle de Louis XIV, Voltaire a cru s’acquitter de ce qu’il lui devait, en mentionnant Mme de La Fayette au catalogue des écrivains, parmi la foule obscure; et le nom même de l’auteur, du moins autant qu’il m’en souvienne, n’a pas trouvé place dans l’Histoire de la littérature française de M. Désiré Nisard. il est aussi bien évident que prendre Bérénice pour le type de la tragédie classique selon les règles de Boileau, c’est se faire vraiment la partie trop belle et triompher à trop peu de frais. « Voilà, sans contredit, la plus faible des tragédies de Racine qui sont restées an théâtre; ce n’est pas même une tragédie. » Ainsi s’exprime Voltaire au terme de l’examen qu’il a fait de Bérénice : il a raison; ce pourrait être un drame, si l’action n’y manquait, et une tragédie, si l’élément tragique n’y faisait