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M. Krantz; elle est l’essence même de l’esprit en opposition à la divisibilité de l’étendue. » Et il ajoute : « Le rapprochement se fait tout seul entre le rôle philosophique et le rôle littéraire que lui donne Boileau. » C’est de la tragédie qu’il est ici question et de la fameuse règle des trois unités. Mais le rapprochement se fait bien mieux encore entre le désordre et l’irrégularité qui régnaient sur le théâtre français, et l’ordre avec l’unité que Corneille, Molière et Racine après eux y mirent successivement en honneur. Où est en cela le rôle de Descanes? Rien ne commence, mais tout se transforme. Ce qui d’abord et par-dessus tout détermine en littérature, comme en art, l’évolution des génies, c’est le point où ces genres eux-mêmes en sont parvenus quand les réformateurs s’en emparent. Les vraies origines de la Princesse de Clèves sont dans le roman de La Calprenède et de Mlle de Scudéry; les vraies origines de la comédie de Molière dans la comédie de Scarron; et les vraies origines de la tragédie de Racine dans la tragédie de Corneille. Une seule œuvre universellement applaudie pèse d’un poids plus lourd sur les œuvres du même genre que toutes les influences de race, de moment et de milieu. C’est l’insignifiance et la banalité des épreuves que l’on tire d’un moule fatigué par le long usage qui suggère aux novateurs, — si tant est qu’il se mêle une part de conscience au mystérieux travail de la création, — le désir, la résolution et jusqu’aux moyens mêmes de le briser. Si Zaïre eût valu Bajazet, et si le Tippoo-Saïb de M. de Jouy lui-même eût valu seulement Zaïre, il y a tout lieu de croire que nous n’aurions ni Ruy Blas ni le Roi s’amuse, mais il est certain que, quoi qu’ils soient, il ne seraient pas ce qu’ils sont. Or, et malheureusement, cette influence de l’art, cette détermination de la forme par la forme, cette évolution du dedans qui est le principe même de la vie de la littérature et de l’art, voilà ce qui échappe aux prises de ces méthodes nouvelles, et voilà ce qui fait défaut dans le livre de M. Krantz, comme il faisait défaut dans l’Histoire de la littérature anglaise.

Un autre élément leur échappe, et non moins nécessaire pourtant à l’histoire d’une littérature: c’est l’histoire elle-même, et ce que les renseignemens de la chronologie toute seule y apportent. Restons-en sur ce même exemple de la règle des trois unités. « En laissant à Aristote et à Chapelain la matière de la règle des trois unités, dit M. Krantz, c’est l’esprit cartésien qui lui a donné sa forme rationnelle. » Et cette forme rationnelle consiste en ce que Boileau se borne à renonciation de la règle « sans l’expliquer comme une conquête de l’expérience, ni la justifier, soit par le prestige de son antiquité, soit par la démonstration de son excellence. » Mais pourquoi ne dirions-nous pas précisément tout le contraire, et peut-être avec plus de vérité? La démonstration d’excellence? Elle est dans la supériorité des « miracles » de