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— La première de ces lois, formulée par MM. Howorth, Doubleday et Spencer, est que le développement plus grand de l’individualité entraîne une fécondité moindre pour l’espèce j si les animaux d’une espèce, par exemple l’espèce humaine, ont une vie individuelle plus intense que ceux d’une autre espèce, le progrès dans le volume du cerveau, dans le développement physique ou moral, dans la complexité et l’activité des fonctions, est compensé chez l’espèce par une moindre aptitude génératrice. L’humanité est l’espèce vivante où l’individualité et ses fonctions sont portées au plus haut point; aussi est-ce, en fait, la moins féconde des races. La raison de cette loi, selon M. Spencer et M. de Candolle, c’est que l’intensité de la vie individuelle implique « une prise de possession de matériaux qui ne peuvent plus servir à d’autres organismes ; la génération, au contraire, est une désintégration qui soustrait à l’organisme une partie de sa substance[1]. » En un mot, l’individualité est une acquisition ; la génération est une perte. Or, ce qui achève l’individualité, ce qui en est pour ainsi dire l’épanouissement, c’est la vie intellectuelle et affective. Par conséquent, les espèces animales ou les races humaines qui vivent le plus par la pensée et par le sentiment sont celles qui ont la moindre puissance génératrice. Objecte-t-on qu’en fait, les races civilisées sont plus nombreuses que les autres, M. Spencer répond que la civilisation, en diminuant une foule de forces destructives, augmente les moyens de subsister et maintient ainsi la population à un chiffre supérieur ; mais l’élévation de ce chiffre tient à un plus grand art de se conserver qu’ont les individus, non à un plus grand pouvoir d’engendrer chez l’espèce.

La seconde loi qui règle la multiplication des êtres, c’est que la richesse de la nutrition augmente la fécondité, tandis que la dépense produite par l’exercice des fonctions de relation, et principalement la dépense intellectuelle, la diminue. Les races pauvres et mal nourries sont naturellement les moins prolifiques. Les Irlandais semblent faire exception, mais l’accroissement de leur nombre tient à ce que les mariages se font chez eux de bonne heure (d’où dérive une succession plus rapide des générations), à ce qu’ils sont imprévoyans, à ce qu’ils ne s’imposent aucune mesure, en un mot à des causes tout autres que la force génératrice proprement dite. Réciproquement, l’accroissement de la dépense vitale, surtout de la dépense intellectuelle, tend à abaisser le degré de la fécondité. Cette loi découle toujours du même principe : ce que l’individu acquiert ou dépense pour son propre compte et pour l’exercice de

  1. Voir, dans les Principes de biologie de M. Spencer, les deux derniers chapitres.