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montrer, la philanthropie a aussi un avantage moral précieux pour la race entière. Elle développe chez les individus et chez les peuples qui l’exercent les qualités du cœur les plus importantes pour la vie sociale. Darwin et ses partisans sont les premiers à reconnaître, avec toute l’école positiviste, combien est essentiel à la société le développement des penchans « altruistes; » la justice même est in possible sans ces penchans, qui seuls peuvent refréner l’égoïsme. Une société sans pitié est toujours une société sans souci du droit. La sélection naturelle, qui s’exerce dès aujourd’hui au profit des peuples les plus intelligens, s’exercera aussi dans l’avenir (on peut l’espérer) au profit des meilleurs et des plus justes, lorsque l’intelligence du vrai sera assez complète pour entraîner la volonté du mieux. La sélection donne toujours gain de cause à ceux qui s’adaptent le plus parfaitement au milieu nouveau ; or le milieu humain, dans l’avenir, sera sans doute le règne de la fraternité et de la justice. Ces nations seules survivront donc qui se seront adaptées le mieux au type « altruiste, » c’est-à-dire qui pourront le mieux vivre et se propager dans un milieu principalement intellectuel et moral, où la science et la sympathie auront le premier rang.


IV.

Cette appropriation des sociétés actuelles à la société idéale, par le progrès simultané de la science et de la sympathie, entraînera probablement une transformation du type de l’espèce, un développement du cerveau plus que des autres organes, une substitution de la force intellectuelle et morale à la force physique. Déjà le cerveau actuel est une vertèbre démesurément grossie; le cerveau des races futures sera peut-être, non-seulement pour le volume, mais encore et surtout pour l’organisation, aussi différent du cerveau des races actuelles que celui-ci l’est des simples vertèbres. Le système nerveux de l’homme civilisé est déjà de 30 pour 100 plus vaste que celui du sauvage. Or le développement cérébral semble avoir une influence restrictive sur la fécondité : il doit donc tendre à rétablir cet équilibre entre l’accroissement de la population et l’accroissement des subsistances que la philanthropie scientifique voudrait réaliser et qu’elle reproche à la charité sentimentale de détruire. Le point mérite examen.

Quelles sont les lois de la multiplication des espèces dont l’oubli, selon Malthus, Darwin et M. Spencer, est aussi préjudiciable au philanthrope qu’au naturaliste dans les problèmes connexes de la population, de la sélection, de la civilisation et de la bienfaisance?