Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une bonne place dans l’autre monde sans s’inquiéter de ce qu’il en peut coûter à ses semblables[1]. »

Mais, demanderons-nous, M. Spencer voit-il le mal et le remède où ils se trouvent réellement lorsqu’il attribue l’insouciance et la paresse des indigens à l’hérédité, et qu’il se préoccupe surtout d’empêcher une nouvelle transmission de ces vices par le sang aux générations futures? Les meilleurs procédés de sélection darwinienne seront sans grand résultat en l’absence d’une bonne éducation, et l’éducation elle-même aura peu de puissance en l’absence de lois justes. Il faut donc rétablir dans le problème ces deux élémens essentiels que les darwinistes laissent de côté : l’éducation et les lois.


III.

Nous avons reconnu, tout en les ramenant à leur juste mesure, les inconvéniens de la philanthropie lorsqu’elle prend pour règle le sentiment vague de l’amour plutôt que les idées précises et scientifiques de justice ou d’intérêt général ; nous devons faire voir les avantages qui peuvent, en une certaine mesure, compenser ces inconvéniens. C’est un point de vue sur lequel les darwinistes n’ont pas assez insisté.

Le premier avantage des institutions philanthropiques, lorsqu’elles sont bien entendues et soumises aux règles de la science, c’est de tendre à diminuer parmi les hommes les excès d’inégalité soit économique, soit politique, soit intellectuelle. Or la nécessité de rétablir parmi les hommes une certaine égalité ressort des lois mêmes de la sélection naturelle. Il est remarquable que ces lois, après avoir paru d’abord favorables aux aristocraties et aux institutions aristocratiques, sont aujourd’hui invoquées en faveur de l’égalité sociale. Selon le docteur Jacoby « l’inégalité politique et économique » produit, en vertu même des lois de la sélection, « l’ignorance et la misère en bas, la folie, le crime et la stérilité en haut... De l’immensité humaine surgissent des individus, des familles et des races qui tendent à s’élever au-dessus du niveau commun; ils gravissent péniblement les hauteurs abruptes, parviennent au sommet du pouvoir, de la richesse, de l’intelligence, du talent, et, une fois arrivés, sont précipités en bas, disparaissent dans les abîmes de la folie et de

  1. Introduction à la science sociale, p. 370. On peut ajouter que les associations religieuses, particulièrement en France, favorisent involontairement l’hypocrisie, en faisant de leurs secours un moyen de propagande et en imposant les pratiques du culte comme condition de leurs bienfaits.