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le faible contre les conditions défavorables, on verra véritablement apparaître des maladies nouvelles, » car l’accroissement des maladies est corrélatif à l’affaiblissement de la vitalité. Voyez plutôt les nombreuses maladies inconnues parmi les barbares et dont souffrent les races civilisées[1]. Les maladies du cerveau, principalement, semblent s’accroître avec la civilisation ; leur rapport avec la population totale paraît avoir doublé en France depuis 1836. L’activité imprimée à l’industrie, aux arts et aux sciences, l’agitation politique et sociale, la fièvre du gain et la vie dévorante des cités engendrent dans les nations civilisées un état d’excitation cérébrale qui ressemble à l’ivresse et doit disposer aux troubles intellectuels. Ajoutons que la nécessité d’entretenir les faibles et les «non-producteurs, » comme dit M. Spencer, amène une surcharge de plus pour les « producteurs ; » la fatigue de ces derniers augmente donc jusqu’à devenir pour eux une cause de maladies ou de décès prématuré, la mortalité évitée sous une forme reparaît ainsi sous une autre; ce sont finalement les moins bien doués qui survivent et les mieux doués qui disparaissent.

Si cette fraternité mal entendue se perpétuait, elle finirait, selon les darwinistes, par changer une société vigoureuse et jeune en une société vieille avant l’âge. Supposez une nation tout entière composée de vieillards : la vieillesse diffère de la jeunesse et de l’âge mûr en ce qu’elle est moins active pour la production et moins capable de résister aux causes de destruction; les hommes qui, bien que jeunes encore, ont une constitution faible, se trouvent dans une position analogue. Une société de gens affaiblis doit donc mener la vie que mènerait une société composée de vieillards n’ayant personne pour les servir. La ressemblance se complète en ce que, des deux côtés, la vie manque de cette énergie qui rend le travail facile et le plaisir vif. Le vieillard voit augmenter pour lui les causes de souffrances et diminuer les causes de plaisir, car l’exercice physique est la condition ou l’accompagnement de la plupart des plaisirs. Ainsi se produit une vie languissante, terne et monotone. « En résumé, dit M. Spencer, lorsque chez un peuple le type moyen des constitutions s’abaisse à un certain niveau de force inférieur à celui qui peut résister sans difficulté aux travaux, aux perturbations et aux dangers ordinaires, la mortalité n’est pas toujours diminuée et, d’autre 6art, la vie, cessant d’être une jouissance, devient un fardeau[2]. »

Telles sont les considérations des darwinistes sur l’abaissement

  1. On peut consulter à ce sujet le docteur Jacoby, Études sur la sélection, p. 441 et suiv.; de Candolle, Histoire des sciences et des savans en Europe ; Essai sur la sélection dans l’espèce humaine.
  2. Ibid., p. 3G7.