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concilier l’autorité royale et les libertés des Flandres. Montigny fut choisi avec le marquis de Bergues.

On a prétendu que Montigny s’aboucha en Espagne avec le malheureux don Carlos et lui offrit d’être le libérateur des Flandres. M. Gachard a soufflé sur cette légende : le jeune prince ne cessait de demander qu’on le chargeât de châtier les rebelles ; il trouvait la justice espagnole trop lente ; sa piété avait le caractère de la superstition la plus féroce ; les envoyés belges savaient fort bien qu’ils n’avaient rien à attendre d’un insensé. Montigny était en Espagne pendant que le duc d’Albe instituait le conseil des troubles et faisait arrêter les comtes d’Egmont et de Horn. Il s’y trouvait depuis plus d’un an, et le roi l’avait si bien traité qu’il écrivait à la régente : « Je trouve au roi toute la bonne affection, amour et volonté, tant vers nostre pays que vers tous ses subjets et bons serviteurs de delà, et, de ma part, ne me sçauroye assez louer de la faveur bonne et bénigne audience qu’il me donne toutes les fois que je la demande. » Le roi admit Montigny et Bergues dans sa familiarité ; ils finirent par se sentir comme prisonniers de sa faveur ; Bergues, étant tombé malade, obtint la permission de partir. « Le prince d’Eboli ira voir, écrivit Philippe, le marquis de Bergues, et, après s’être bien assuré que sa maladie est mortelle et que tout voyage est impossible, il lui dira que le roi lui permet de partir pour son pays. » Bergues mourut, et le roi lui fit faire de grandes funérailles.

Montigny lui restait, et quand il apprit que le duc d’Albe avait arrêté d’Egmont et de Horn, il le fit enfermer dans la tour de Ségovie. « Le principal crime, dit M. Forneron, reproché à Montigny était d’avoir défendu devant le conseil des secrétaires d’état la conduite des seigneurs flamands. Ainsi, le roi l’accueille comme l’envoyé de l’aristocratie belge ; il l’écoute, il le questionne, il le fait parler, et c’est pour la plaidoirie ainsi sollicitée qu’on le condamne. » Le procès dura deux ans ; les membres du conseil des troubles finirent par prononcer la condamnation à mort tout en tenant leur arrêt secret jusqu’à ce que l’on connût les intentions de Philippe. Quand celui-ci connut l’arrêt, il assembla son conseil ; on fut d’accord que l’exécution ne serait pas publique : « On dirait que la condamnation a été réglée ici entre compères. » (Procès-verbal du conseil des secrétaires du roi.) On proposa un poison lent ; Montigny se croirait malade et pourrait mettre ordre aux affaires de sa conscience. Philippe ne voulut point de ce moyen ; il importait que Montigny se sût condamné ; il fallait observer les formes légales, garrotter le coupable ; seulement on pouvait tenir l’exécution secrète. C’est ce qui fut fait. On fit croire à une maladie,