à l’église ; il en était le représentant armé, le sauveur choisi par Dieu.
Cette confiance explique son admirable impassibilité à travers les péripéties de la lutte qu’il avait engagée de tous côtés. N’avait-il pas une mission ? Tout ce qui arrivait n’arrivait-il pas par la volonté céleste ? Un long contact avec les Maures avait fait passer dans le caractère ce fatalisme hautain qui dédaigne également les ivresses de la victoire et les découragemens de la défaite. Quand le courrier apporta à l’Escurial la triomphante nouvelle de la bataille de Lépante, le roi était à vêpres ; son secrétaire, don Pedro Manuel, entra dans le chœur et annonça la nouvelle à haute voix. Philippe « resta impassible, ne donna ni marque d’émotion ni même de témoignage d’attention, se tint sur son prie-Dieu sans sortir de son recueillement, fit signe de continuer les vêpres[1]. » À la fin des vêpres, il demanda seulement un Te Deum. À la mort de son fils, don Fernando, « pas de marques d’émotion, écrit Philippe, rien que des processions et des prières publiques, rien que des actions de grâces au Tout-Puissant pour la faveur qu’il a faite à l’infant. » Quand il perdit sa femme, Elisabeth, il écrivit tranquillement au duc d’Albe : « Elle accoucha d’une fille de quatre ou cinq mois une heure et demie avant de mourir : l’infant reçut l’eau du saint baptême et s’en alla au ciel conjointement avec sa mère. » Après le grand désastre de l’Armada, il efface sur la minute d’une dépêche préparée pour Farnèse ces mots : « Je me flatte que vous aurez saisi une occasion de réparer notre réputation ; » et écrit en marge : « Dans ce que Dieu fait, il n’y a pas à perdre ni à gagner de réputation ; le mieux est de ne point parler. « Il était comme un joueur qui croit étourdiment que la fortune ne lui inflige que des revers d’un jour ; seulement il donnait à la fortune le nom de Providence, et il se croyait naïvement fait pour exécuter des volontés célestes. La confiance imperturbable, la foi qui voit dans les plus grands malheurs un moyen détourné d’assurer les succès, la complicité naïve avec Dieu ne se sont peut-être jamais plus clairement étalés que dans le mélancolique fils de Charles-Quint. Pourquoi se serait-il jamais pressé ? N’avait-il pas l’éternité pour lui ? Pourquoi aurait-il composé avec les passions humaines autrement que pour gagner un peu de temps ? Pourquoi aurait-il tenu des promesses qui n’étaient que des expédiens ? Pourquoi aurait-il accordé aux hommes, même à ses serviteurs les plus fidèles, une véritable confiance ? Il ne devait cette confiance à personne, étant convaincu profondément de la perversité humaine. Il regardait véritablement l’humanité comme
- ↑ Forneron, Documens inédits, page 238.