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demandes des autorités de l’Empire touchant l’usage des voies ferrées pour la défense du territoire. Les troupes et le matériel de guerre particulièrement devront être transportés à prix réduits. »

Avec le réseau des chemins d’Alsace-Lorraine il reste encore à l’Empire, comme valeurs productives de l’indemnité de guerre française, le fonds des invalides et les sommes disponibles sur les fonds alloués à la construction des forteresses et du palais du Reichstag, puis le trésor de guerre. Ce dernier fonds ne produit pas d’intérêts : il est déposé dans la citadelle de Spaudau et s’élève à une somme de 120 millions de marcs en monnaie d’or allemande, toujours disponible pour parer aux éventualités d’une entrée en campagne. L’indemnité de guerre imposée à la France[1] a produit, avec les intérêts pour retard de paiement, une somme de 5,501,191,959 francs, auxquels il faut ajouter 200,000,000 francs, contribution de la ville de Paris, et le reste de diverses contributions levées sur le territoire français pendant la campagne, — soit ensemble 5,567,067,277 fr. Déduction faite de 325,000,000 francs attribués à l’acquisition des lignes du réseau de la compagnie des chemins de fer de l’Est, situées sur le territoire annexé, il restait à disposer de 5,242 millions, dont 2,989 millions ont été partagés entre les belligérans, 360 millions répartis pour indemnités de dommages causés à des sujets allemands par suite de la guerre, et 1,140 millions réservés pour des affectations d’intérêts communs à tous les états de l’Empire. Cette somme énorme touchée par l’Allemagne a-t-elle exercé une influence bienfaisante sur la situation économique du pays ? Comme l’argent gagné au jeu, l’indemnité française a moins profité à la population qu’on n’est porté à le croire de prime-abord. Son effet immédiat a été de renchérir le prix de toutes choses, celui des objets de consommation comme celui du travail ou de la main-d’œuvre. Une partie considérable de cet argent est retournée à l’étranger, sous forme de change pour le paiement des marchandises importées. Puis cet afflux de richesse momentané a provoqué des besoins et des habitudes de dépenses dépassant les ressources de ceux qui ont cru en profiter. Or quiconque, dans la vie privée, dépense au-delà de son revenu normal, s’appauvrit presque toujours. On peut en dire des états autant que des simples particuliers et il ne manque pas en Allemagne d’esprits chagrins qui prétendent que la nation a plus perdu qu’elle n’a gagné par l’indemnité des milliards. Sans doute et malgré les milliards, il y a plus de bien-être en France actuellement qu’en Allemagne, mais prétendre que l’argent prélevé sur les vaincus fait à la nation alle-

  1. Voyez, dans la Revue du 1er  juillet 1873, l’étude de M. Victor Bonnet sur le Paiement de l’indemnité prussienne et l’état de nos finances.