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Mais les croisades, la découverte du Nouveau-Monde, les conquêtes d’aventuriers célèbres rendirent peu à peu familières les richesses du gloire, le sol national en parut plus pauvre. On vit quels inutiles efforts on avait consumés à produire malgré la nature ce que la nature offrait ailleurs d’elle-même ; beaucoup de choses inconnues devinrent nécessaires et chaque pays en voulut sa part. Nul n’entendit, il est vrai, renoncer au système de la prohibition ; incapable de produire sur son sol les richesses qu’elle désire, résolue à ne les pas tenir des étrangers, la nation s’étend partout où les climats divers offrent des faveurs différentes ; sur chaque territoire qu’elle occupe, elle plante avec son drapeau ses lois et ses mœurs. Les possessions devenant une portion de la patrie ne doivent avoir de rapports qu’avec elle. Tel est le système colonial fondé au XVIe et au XVIIe siècles. Bien que l’on qualifiât ce commerce d’intérieur, il s’opérait par mer. De ce moment, les blocus furent possibles. S’ils n’avaient empêché que les transactions entre un pays et ses colonies, le résultat en eût été mince, mais les peuples qui produisaient à peu près les mêmes choses ne les produisaient ni au même prix, ni avec la même perfection. Acheter les marchandises dans les pays où elles coûtaient moins, les vendre dans ceux où elles valaient davantage était une inspiration naturelle à l’esprit de gain, et d’autant plus avantageuse qu’il y avait plus d’écart entre les prix des deux côtés d’une frontière maritime ou terrestre. La contrebande fut après la guerre le premier rapport entre les peuples. Il s’en ajouta de plus réguliers. Quelques petits états, Venise, Gênes, les villes hanséatiques vivaient sans territoire et gouvernés par des marchands. Leur situation géographique les obligeait à recourir à des pays producteurs, à transformer par l’industrie des objets qu’ils pussent donner en retour, leur génie commercial, éveillé par l’intérêt, proclama le principe de la liberté des échanges. Comme leur faiblesse les tenait attachés à la paix, les grandes nations consentirent avec eux un trafic qu’elles ne craignaient pas de voir subitement rompu, et par eux les marchandises d’origine diverse parvinrent dans les différens pays. Enfin les peuples osèrent traiter sans intermédiaires quand la philosophie du XVIIIe siècle fit croire aux hommes qu’ils s’aimaient. Un traité signé en 1786 par les deux grandes puissances commerciales de l’Europe, l’Angleterre et la France, permet entre elles l’échange de certaines marchandises. Ainsi se crée et se développe un commerce extérieur. Quand va finir l’ancien régime, la prohibition enserre encore chaque pays d’un rempart continu, mais l’enceinte croule à plus d’une place ; furtives ou patentes, les communications s’opèrent entre les peuples, les échanges passent par les brèches, et pour que tombe partout la muraille, une seule chose