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que des dépenses certaines, des dangers possibles, et aucune chance de gain. Restreintes à la poursuite du pavillon belligérant, les opérations des croisières sont à la fois très étendues et très restreintes. Il les faut entreprendre partout à la fois dès l’ouverture des hostilités, et elles s’achèvent avec le délai nécessaire aux navires alors en route pour gagner l’abri le plus prochain. Tout ce qui n’aura pas été pris à ce moment aura échappé pour toute la guerre. Seul l’État est en situation d’entreprendre cette tâche. Une partie de ses navires sillonne en tout temps les mers, et, au jour d’une rupture, sera déjà placée sur les routes commerciales du monde ; l’autre partie attend dans les ports militaires les ordres du pouvoir politique, et celui-ci, poursuivant ses desseins ou pénétrant ceux de l’étranger, est maître d’employer la paix à préparer en silence une force capable de commencer la chasse le jour où seront déclarées les hostilités. Dès que le pavillon marchand de l’ennemi aura disparu des mers, la flotte n’a plus rien à prendre, mais il lui reste, par des croisières, à maintenir jusqu’à la fin de la guerre les navires dans les ports où ils auront cherché refuge. Interdire à l’adversaire l’usage de ses moyens de transport, le contraindre à subir l’élévation que lui imposeront les bâtimens neutres est lui causer un sérieux préjudice. Enfin un mal autrement grave l’atteindrait si aucune marchandise ennemie ou neutre ne pouvait arriver dans ses ports ou en sortir : l’on obtient ce résultat en investissant les côtes ennemies. Avec le blocus apparaissent les opérations sur le littoral.

Le territoire ennemi offre aux flottes, par la variété de ses côtes, de ses plages, de ses fleuves, de ses villes, les opérations de guerre les plus diverses comme les plus nombreuses ; par sa fixité, les plus faciles à étudier d’avance et à conduire avec méthode ; par son importance enfin les plus décisives, puisque là se prépare la force d’un peuple et vit sa nationalité. Si l’incertitude d’une navigation qui ne pouvait choisir ni le moment de l’action, ni celui de la retraite, ni le théâtre exact de la guerre, a fait longtemps la sûreté des côtes, depuis que la marine est maîtresse de sa marche, le littoral n’est pas plus inviolable que les autres frontières. Cette analogie a même donné à croire que, sur les unes et les autres, on opérerait de même avec des troupes, et que le rôle principal des flottes deviendrait le transport et le débarquement des armées. La Crimée, le Mexique, l’extrême Orient, l’Afrique ont vu la mer devenue pour des peuples divers la grande route d’invasion : en 1870, quand la guerre éclata, des mesures étaient prises pour transporter un corps français sur les côtes de la Prusse et de grandes espérances étaient fondées sur lui. Supposer que des forces ainsi jetées sur un rivage coopèrent à la grande guerre, c’est la méconnaître. Jamais une flotte n’a pu