Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paix entre les compagnies en cas de rupture entre leurs nations respectives en Europe[1]. »

Or les paquebots d’aujourd’hui, mus par la vapeur, transportent, à tonnage égal, au moins trois fois plus dans un même temps que les voiliers ; d’autre part, l’expérience a prouvé qu’en les allongeant, on leur donnait un tonnage supérieur sans augmenter sensiblement les dépenses du moteur ; ils vont donc se réduisant en nombre et augmentant en volume. Si, doués de ces dimensions, ils devaient attendre dans les ports un chargement pour un seul point du globe, un temps précieux serait perdu et les rapports entre les divers ports seraient rares, malgré la rapidité des voyages. Cette promptitude a permis d’abord de faire les cargaisons de navires avec des marchandises ayant une destination différente ; le voyage avec escales a été créé. Les navires, à cause de leur dimension et de leurs frais de route, coûtent trop pour que d’ordinaire les négocians puissent être tout ensemble armateurs. L’inactivité du matériel causerait au capital des pertes trop ruineuses d’intérêts et d’amortissement pour que les armateurs n’aient pas tendu à constituer des services réguliers. Ces services réguliers exigent un personnel et un matériel tels que l’on ne compte plus par bâtimens, mais par flottes. D’où le résultat dernier, et ici capital, que la marine de commerce appartient déjà et appartiendra de plus en plus à des compagnies. Comment espérer que leurs administrateurs prennent jamais sur eux la responsabilité de transformer en bâtimens de guerre les bâtimens confiés à leurs soins ? Et leur réserve serait de la sagesse. Quels résultats leur promettrait leur intervention ? Avant de la tenter, ils devraient armer leurs navires. Quand les travaux commenceraient-ils ? Pas durant la paix : les particuliers ne sont pas dans les secrets des cabinets et d’ailleurs leurs intérêts les plus sérieux leur commandent d’employer leur matériel à l’usage pour lequel il est créé. Aussi serait-il anormal qu’on les trouvât dans les ports au jour de la rupture : la plus grande partie de ces navires, destinés à menacer le commerce de l’ennemi, auront tout d’abord à éviter ses croiseurs et courront les mers chargés d’une cargaison qu’ils ne pourraient défendre. Leur transformation commençât-elle en même temps que la guerre, coûtera des mois, au moins des semaines, et quand le premier d’entre eux prendra le large, le dernier bâtiment de commerce sera rentré dans un port.

Tant que la capture, même sous pavillon neutre, de la marchandise ennemie restera prohibée, la course pourra être rétablie en droit, elle ne renaîtra pas en fait, parce qu’elle n’offrira au commerce

  1. Mémoire sur les inconvéniens pour les trois compagnies française, anglaise et hollandaise, de leur mésintelligence dans l’Inde, etc.. 1752. (Archives de la marine.)