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tempête, c’est que les hostilités étaient lointaines encore, et elles n’éclateront pas beaucoup avant qu’ils touchent le port. Encore la plupart, pour leur trafic ou leur charbon, ne passent-ils guère dans aucun parage plus de huit jours sans relâcher ; à chaque escale, ils trouveront les nouvelles qui leur manquaient au départ et un asile s’ils redoutent de continuer leur voyage. L’argent, selon le temps, est téméraire ou timide ; dans les heures calmes, plutôt que de rester inactif, il s’expose ; dans les heures de crise, plutôt que de s’exposer en circulant, il se cache. Aux premiers indices de rupture, un double mouvement se produira : les négocians ne voudront pas hasarder leurs marchandises, les armateurs ne voudront pas hasarder leurs navires. En vain les marines militaires seront prêtes à escorter les convois, en vain elles parcourront les routes maritimes pour les tenir libres. Les intérêts estiment qu’une chose est supérieure à toute protection, si efficace soit-elle : l’absence du péril. Ils le penseraient, quelle que fût la puissance de leur nation, car il n’est pas de supériorité qui exclue tout succès partiel de l’adversaire. Jamais peuples ne furent plus inégaux par la marine que les belligérans de 1870 : les forces prussiennes avaient disparu des mers, les forces françaises y dominaient partout, à ce point que les bâtimens de commerce voyageaient comme en temps normal et que rien n’était changé à la régularité des services par paquebots. Tout à coup l’alarme se répand. Quel est ce péril que ne suffisaient à conjurer ni la flotte répandue sur l’océan ni la flotte de réserve dans les arsenaux ? Un seul croiseur allemand est apparu à l’embouchure de la Gironde : c’est assez pour que, dans tout le golfe de Gascogne, notre navigation s’arrête, et le mouvement ne reprend avec confiance que le jour où l’Augusta s’enferme à Vigo sous la surveillance de deux croiseurs français. Partout où sévira la panique, le même fait se prépare, d’autant plus certain que l’arrêt dans la marche des navires n’entraînera pas d’arrêt dans la régularité des échanges. Depuis 1856, le congrès de Paris, comme il fut dit alors, a posé les bases d’un droit maritime uniforme en temps de guerre. Les règles qu’il formula, sur l’initiative de la France, sont au nombre de quatre : 1o la course est abolie ; 2o le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, excepté la contrebande de guerre ; 3o la marchandise neutre, excepté la contrebande de guerre, n’est pas saisissable. même sous le pavillon ennemi : 4o les blocus ne sont obligatoires qu’autant qu’ils sont effectifs. Toutes ces dispositions ont pour but de restreindre les pertes que la guerre peut imposer au commerce maritime ; la principale, lui reconnaissant droit d’asile sur les navires neutres, lui offre même dans l’état de guerre les avantages de la paix. Le bénéfice s’étend à tous : tandis que les navires menacés jettent l’ancre au fond des