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couvre la marchandise : la plupart des autres nations professaient que, même sur navires neutres, la marchandise emmenée était de bonne prise et, au congrès de Paris, le représentant de l’Angleterre qualifia ces usages de « principes qu’elle avait jusque-là invariablement maintenus. » Les chargemens n’étaient donc pas plus exposés sur les navires de la nation que sur Iles étrangers. Sur les uns ou sur les autres, la longueur des traversées a la voile donnait le loisir de les surprendre et de les capturer. Une partie des forces à ce destinées, croisant non loin des ports de la puissance ennemie, fermaient. par un blocus renversé la terre aux navires marchands. Sur l’étendue des mers où ils erraient, d’autres navires leur donnaient une chasse incertaine sans doute, mais cependant assez lucrative pour que nombre de particuliers, armant des navires en corsaires, prissent part à ses chances. Un tel butin n’était pas abandonné par une nation à l’autre sans résistance. Pour purger la mer des corsaires ennemis, et maintenir ouvert l’accès des ports, la flotte de guerre formée en escadres s’établissait dans les parages voisins des côtes ; dans la suite de la guerre, elle détachait des divisions pour recueillir sur les lieux de trafic les bâtimens de commerce. en former des convois et les escorter. De là l’impossibilité d’obtenir autre chose que des prises partielles et toujours incertaines quand cette force protectrice restait organisée ; de là la nécessité, pour atteindre par grandes masses le commerce ennemi, de détruire sa marine de guerre ; de là les batailles navales où se disputait la domination de la mer.

Ce n’est pas d’ailleurs au commerce qu’une telle guerre portait les plus grands coups. La puissance utilitaire d’un pays avait vraiment alors deux expressions comparables, l’armée et la flotte. Sur terre, les armées, que recrutaient l’enrôlement volontaire et le sort, comptaient des effectifs restreints, les plus puissantes ne dépassaient pas cent à deux cent mille combattans. Sur mer, le maniement des voiles et le service des pièces exigeaient jusqu’à douze cents hommes sur les vaisseaux de ligne, et les flottes des grandes nations comptaient jusqu’à cent mille hommes. L’expression alors en usage d’armées navales exprimait une idée juste : que la terre ou la mer servit de champ de bataille, on y détruisait en proportions presque égales la richesse la plus longue à produire, celle qui remplace toutes les autres et que nulle ne remplace, les hommes. Voilà pourquoi la guerre d’escadres est la plus importante dans les annales de l’ancienne marine.

Dans un temps où les flottes n’étaient maîtresses ni de leur vitesse ni de leur direction, rien de moins nécessaire, rien de plus chimérique même que de demandera des lois de stratégie générale le nombre et la situation des ports, de leur confier une étendue de