trouvait étroits. Il disait : « Ce sont des papes et des grands lamas ; ils se croient infaillibles ; chaque petite chapelle dit : Hors de l’église, point de salut, c’est puéril ; faut-il donc dédaigner les Voyages de Scarmentado parce que l’on admire le Discours sur l’histoire universelle, et faut-il dédaigner le Discours sur l’histoire universelle parce que l’on admire les Voyages de Scarmentado ? » Lorsqu’il exprimait ces idées devant Théophile Gautier, celui-ci lui disait : « Je te répondrai, comme Marie de Neubourg à Ruy Blas, que tu as superbement raison. » En effet, Louis avait raison : son bon sens que rien ne dérouta lui faisait entrevoir une doctrine plus large, plus féconde que celle qui est prêchée dans les cénacles littéraires. Restreindre l’art, l’émonder, l’empêcher de s’étendre, le clore dans une formule, — classique, romantique, réaliste, sensualiste, idéaliste, naturaliste, peu importe, — c’est le diminuer, ne pas le comprendre et en faire une chose hiératique qui peut être intéressante, mais qui devient promptement insupportable. L’art ne vit que de diffusion. L’enfermer dans une règle, c’est l’étouffer : il ressemble alors à ces plantes élevées dans les appartemens ; elles ne sont qu’une apparence et n’ont plus ni parfum ni couleur. Les grands mots n’y font rien ; on peut invoquer le respect des traditions ou l’étude de la nature, rien n’équivaut à l’initiative individuelle. En art, en religion, en tout, il n’y a de fécond que la liberté. Théophile Gautier, qui sous ce rapport comme sous tant d’autres avait des idées d’une largeur olympienne, disait : « Pour avoir du talent, il faut exagérer ses défauts jusqu’à en faire des qualités. » Il était le premier à sourire des théories dans lesquelles les jeunes auteurs se contraignent à se mouvoir jusqu’à ne pouvoir agir qu’avec maladresse, et à ce sujet il nous racontait une anecdote qui prouve à quel degré d’intolérance l’esprit d’école peut conduire. Lorsque l’on apprit que Victor Hugo allait faire jouer Lucrèce Borgia, — un drame en prose, — tout le clan romantique entra en rumeur. Quoi ! parler en prose comme de vulgaires bourgeois ! par les cornes du diable, nous ne le souffrirons pas ! On se réunit dans l’atelier d’Eugène Devéria, on pérora, on discuta et on résolut d’envoyer une députation au maître, à celui que l’on appelait pontifex maximus, afin de lui signifier, sans métaphores, qu’il eût à ne paraître sur un théâtre qu’armé en vers ou à abdiquer sa couronne qui serait placée sur un front plus auguste et que nulle prose dramatique n’aurait déshonoré. Victor Hugo reçut les ambassadeurs porteurs de l’ultimatum et sut conserver son sang-froid. Il fut habile et « enjôla » les récalcitrans, auxquels il démontra que le devoir du romantisme était de renouveler la facture de la prose comme il avait déjà brisé le vieux moule alexandrin. L’émeute fut apaisée et la tribu du
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