comptait dans tous les partis. Le père s’abstint et le fils échoua de quelques voix. Devant la représentation nationale comme dans les lettres, il ne devait aussi y avoir qu’un Cormenin ; qu’aurait-on pensé si l’on avait pu dire : « Cormenin de l’Yonne et Cormenin du Loiret, Cormenin du conseil d’état, Cormenin de l’assemblée ? » cette confusion de Cormenins eût été intolérable et ne fut point tolérée. Toute la carrière de Louis, carrière politique, carrière littéraire, en fut brisée ; il a vécu et il est mort sans gloire parce qu’il était le fils d’un père célèbre.
J’ajouterai que Louis n’a jamais reçu un petit écu de son père. Timon était riche et Louis, lorsque certaines extinctions se seraient produites, devait avoir une fortune assez considérable. Depuis sa sortie du collège, — 1840, — jusqu’à la mort de sa mère, — 1853, — il a vécu d’une pension de 1,200 francs que lui servait son grand-père. Dans ces conditions, le bénéfice qu’il aurait pu retirer de sa situation sociale et de son nom fut annihilé. Il mena l’existence d’un étudiant pauvre, allant s’asseoir deux fois chaque jour à la table paternelle, reculant devant toute dépense, irrité de sa position médiocre, se lamentant avec moi et ne se plaignant jamais à ceux qui auraient dû lui faire faire l’apprentissage de sa fortune future. Toute question d’argent à traiter avec son père lui causait un insurmontable malaise. Lorsque, en 1850, pendant que j’étais en Orient avec Flaubert, il accompagna Théophile Gautier en Italie, un fait se produisit qui est véritablement inconcevable. Tout était disposé pour le départ, les places étaient retenues à la diligence ; le matin même du jour où l’on se mettait en route, Louis dit à Gautier : « Tu devrais venir faire une visite à mon père. » Gautier y consentit et l’on se rendit rue Chauveau-Lagarde, où M. de Cormenin habitait. Pendant le chemin, Louis avait été silencieux. On gravit l’escalier ; Gautier tire le cordon de sonnette et, à ce moment, Louis lui dit : « Demande à mon père de me laisser partir avec toi et de me donner de l’argent ; je n’ai pas osé lui en parler. « Gautier, qui n’était rien moins que hardi, fut sur le point de s’esquiver. L’entrevue fut courtoise, mais l’élément comique n’y manqua pas. Timon regimba et disait : « Eh ! qui se serait jamais imaginé cela ? » Il redoutait peu de mécontenter son fils, mais il ne se souciait guère de se mettre mal avec Théophile Gautier, qui tenait une plume et savait s’en servir. L’autorisation et quelque argent furent accordés ; Louis put faire ce voyage et ne compromit pas son nom.
Bien souvent je me suis irrité contre cette sorte d’interdit que le vieux Timon avait jeté sur son fils et je n’ai pas choisi mes mots pour le lui reprocher. De sa voix la plus calme, il me disait : « Vous êtes très violent, vous êtes très violent, » et ne bronchait non plus qu’une