qui demande beaucoup de tact, de scrupule, de modération ; il a donné lieu en Orient à d’odieux abus ; mais ce n’est pas par ses abus qu’il faut juger une institution ; sans cela, les œuvres humaines mériteraient toutes d’être flétries.
Il n’y a pas de question plus grave que celle dont je m’occupe en ce moment. On a déclaré à la tribune de la chambre, en termes à peu près formels, que tous les créanciers étrangers de la France pouvaient en prendre à leur aise ; qu’ils n’avaient qu’à annuler les créances de nos nationaux, qu’à confisquer leurs biens ; que la France ne protesterait pas ; que l’extrême gauche même applaudirait, jugeant qu’on ne saurait traiter plus justement les capitalistes français, qui ne sont que d’abominables spéculateurs : « En vérité, a dit avec raison M. Paul Leroy-Beaulieu, dont j’aime à invoquer ici l’autorité, le langage qui se tient soit à la tribune, soit dans les journaux, nous paraît émaner d’un patriotisme tout nouveau. Les Égyptiens sont nos débiteurs, les Espagnols le sont aussi, puis les Italiens, et les Autrichiens, et les Grecs, et les Roumains ; là, nous possédons des titres de la dette publique, ailleurs, des titres de chemins de fer, autre part encore, des titres de sociétés industrielles. Les journaux et les députés de l’extrême gauche semblent convier et les Égyptiens et les Turcs, et les Grecs, et les Roumains et les Italiens, et les Autrichiens et les Russes à piller nos capitalistes nationaux ; le profit que la France y trouvera, nous l’ignorons. Nous avons ainsi de par le monde une créance de 20 à 25 milliards de francs, représentant une annuité de 1 milliard l/4 à 1 milliard 1/2, sorte de tribut que nous paie régulièrement l’étranger pour les services que nous lui avons rendus et que nous lui rendons encore. Cette créance représente le sixième ou le septième de l’ensemble de la richesse de la France ; c’est grâce à elle que nous avons pu payer facilement et promptement notre indemnité de guerre ; il n’y a aucun doute pour un esprit versé en ces matières que, si la France n’avait pas ainsi été créancière du reste du monde en 1871, le paiement de notre indemnité de guerre eût été singulièrement plus laborieux et plus lent ; les Prussiens fussent peut-être restés deux ou trois ans de plus sur le sol français. C’est cette créance également, ou plutôt cet ensemble de créances que nous avons à l’étranger, qui nous permet d’avoir des importations supérieures d’un milliard et demi à nos exportations. C’est avec les revenus de cet ensemble de créances que nous payons les blés et les vins que, dans les années de disette et de phylloxéra, nous faisons venir du dehors pour que la nourriture de l’ouvrier ne soit pas trop pauvre et trop affaiblissante. » Convier les peuples qui sont nos débiteurs à s’emparer des 20 ou 25 milliards que nous leur avons prêtés, n’est-ce donc pas une faute démocratique