Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son mieux. qu’elle y a mis une bonne volonté, une patience étonnantes. En fin de compte, pourtant, lorsque M. de Freycinet a été submergé, il a bien fallu se séparer. La chambre et M. de Freycinet ont rompu l’alliance anglaise. À dire le vrai, ils n’y tenaient pas beaucoup ni l’un ni l’autre, n’en ayant jamais compris l’importance. Il suffisait que l’alliance anglaise fût l’œuvre de deux hommes antipathiques pour que cette alliance le devînt également. Mais on voit à quelles conséquences conduit une pareille manière de faire. Si chaque ministère modifie la politique du pays uniquement pour marquer son hostilité envers les ministères précédens, est-il possible d’entreprendre une œuvre quelconque de longue baleine ? Or les nations ne grandissent que par les œuvres de longue haleine, car leur vie est heureusement moins courte que celle des ministères ; et c’est pourquoi sans quelque fixité dans le gouvernement, sans une solidarité intime entre les pouvoirs successifs, il n’y a pour un pays que décadence certaine, qu’inévitable abaissement.

On s’étonne de l’ignorance profonde, non-seulement du public, mais des hommes d’état en ce qui concerne les questions extérieures. J’ai dit que, pendant sept ou huit ans, personne dans les chambres ne s’en était occupé, qu’on s’en fiait purement et simplement à des spécialistes plus ou moins inspirés. Depuis qu’on les discute, on n’est point encore arrivé, à beaucoup près, à faire l’éducation du pays. Y arrivera-t-on jamais ? Il est permis de craindre que non. Un des plus mauvais, mais par malheur un des plus constans travers des démocraties, est le dédain du passé, l’oubli de ses leçons, le mépris de ses exemples. Chez nous, ce travers devient très alarmant. Jadis le parti libéral se faisait un honneur de respecter l’intégrité de notre histoire, d’en montrer l’harmonie générale à travers les agitations profondes qui, dans les temps modernes, en ont précipité le cours sans le changer. C’était une théorie généralement admise, professée avec un incomparable éclat par les grands historiens de la révolution, par M. Thiers, par M. Mignet, que cette glorieuse révolution, en affermissant l’unité de la France, avait achevé, confirmé et non détruit l’œuvre de nos rois. On ne méprisait pas la vieille monarchie. On savait et on avouait qu’elle avait fait notre pays ; qu’elle avait peu à peu formé la classe moyenne, celle qui devait en 1789 s’emparer du pouvoir et fonder les libertés publiques, qu’elle avait fixé nos frontières, étendues un instant par les conquêtes de la révolution et de l’empire, mais où nous avions été ramenés, et où plut au ciel que nous fussions restés ! qu’elle avait créé au dehors l’immense puissance dont l’héritage, bien que diminué, est encore une des causes principales de notre puissance et de notre fortune. Dans la