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au sénat, qu’en dehors de la France continentale il y a ce prolongement de la France que nous trouvons sur toutes les plages de l’Orient, dans toutes les échelles de la Méditerranée. Je rappellerai que le patriotisme qui consiste simplement à voir ce qui est autour de nous, ce qui est en France, est un patriotisme incomplet ; je rappellerai qu’il faut quelquefois être sorti de son pays, avoir voyagé à l’étranger, avoir été longtemps loin des rives de la France, s’être abrité avec bonheur sous le pavillon d’un consul dans quelque ville de l’Orient, ou avoir salué avec fierté la flamme flottant au mât d’un navire sur une mer lointaine. » On ne saurait mieux dire, mais il convient d’ajouter que sur toutes ces plages, que dans toutes ces échelles où l’on rencontre un prolongement de la France, où l’on s’abrite avec bonheur sous le pavillon des consuls, où l’on salue avec émotion la flamme tricolore des navires, on se sent tellement chez soi qu’on a peine à croire qu’on ait quitté la patrie. Tout est imprégné du génie de cette vieille France que les démagogues peuvent bien calomnier, mais qui a fait des choses assez belles, assez nobles, assez durables pour braver devant l’histoire leurs ignorans dédains. Elle avait conquis moralement l’Orient, elle l’avait conquis si fortement qu’elle nous a laissé dans les contrées qui sont la clé du commerce asiatique, dans le beau pays où le canal de Suez mêle les eaux de la Mer-Rouge à celles de la Méditerranée, dans les régions fertiles où l’Euphrate coule vers le Golfe-Persique et les mers asiatiques, en Égypte, en Syrie, et plus haut, en Asie-Mineure, une influence prépondérante dont nous aurions pu, dont nous pourrions encore nous servir pour nous placer au premier rang des peuples auxquels l’avenir de l’Asie appartient. Sur toutes les grandes routes du commerce, sur toutes les grandes voies politiques, elle avait planté notre drapeau. Par son action bienfaisante et civilisatrice, elle avait acquis l’amitié, le dévoûment des populations, — aussi bien des populations musulmanes que des populations chrétiennes. Et c’était là l’immense utilité de cette œuvre de l’assimilation morale de l’Orient, considérée comme le prélude nécessaire de nos entreprises africaines. Pour nous assurer en Algérie, en Tunisie, une domination pacifique, croit-on qu’il fût indifférent que l’Orient subît noire influence, et surtout qu’il fût heureux de la subir ? On tait quelles ramifications profondes, quels liens étroits unissent les sociétés multiples qui, dans le monde musulman, relient entre elles des populations vivant sous des régimes divers, sous des gouvernemens différens. Tous les mots d’ordre qu’on entend retenir dans le monde arabe partent du Caire et de Damas, ou du moins y passent. C’est pourquoi, si nous voulons que l’Algérie et la Tunisie soient calmes, il faut que la France soit