nous n’avons, ou du moins comme nous ne devrions avoir ni les uns ni les autres des vues de conquêtes particulières, comme l’Orient est assez vaste pour nous contenir tous, comme sur aucun point la nature des choses ne nous y met en antagonisme, rien ne nous est plus facile que d’y rester d’accord, à la condition de comprendre naturellement les avantages de cet accord. Lord Beaconsfield et M. Waddington les avaient compris à Berlin. Ce dernier avait eu, il faut en convenir, quelque mérite à le faire. Le congrès de Berlin s’était terminé, on se le rappelle, par le feu d’artifice de la prise de Chypre. Tout le monde en était quelque peu abasourdi et scandalisé. M. Waddington eût pu perdre la tête et se brouiller avec l’Angleterre, mais il connaissait Chypre ainsi que le reste de l’Orient. Aussi, sans se scandaliser outre mesure de l’occupation d’une île dépourvue de ports, et qui n’avait joué un grand rôle qu’à l’époque où de simples galères remplaçaient les cuirassés d’aujourd’hui, profita-i-il précisément de cette prise de Chypre, qui risquait de créer entre l’Angleterre et nous une inimitié éternelle, pour imposer à l’Angleterre sinon une alliance, au moins une amitié dont nous devions tuer les meilleurs fruits. Il n’adressa aucune remontrance à lord Beaconsfield sur son ambition envahissante, mais il lui demanda, en échange de Chypre, de reconnaître tous nos droits sur la Méditerranée. Faisant en quelque sorte le tour de cette mer qu’on a appelée quelquefois française, il exigea et obtint que noue protectorat religieux sur les lieux saints, c’est-à-dire noire ingérence constante dans les allaires de Syrie, fût proclamé par un article du traité de Berlin, et qu’un texte diplomatique consacrât des traditions qui ne reposaient sur aucune loi, sur aucun traité. Passant de là en cette Égypte que les Anglais gouvernaient, seuls à cette époque, il nous fit donner une part égale à la leur et établit un condominium, aujourd’hui détruit, qui nous aurait permis, si nous l’avions voulu, de garantir le pays contre toute conquête ; enfin, arrivant en Tunisie, où les Anglais avaient été constamment nos rivaux. il reçut la promesse écrite qu’ils ne se mêleraient plus des affaires tunisiennes et qu’ils nous les laisseraient régler, à l’occasion, comme nous l’entendrions, C’étaient là, sans aucun doute, de grands avantages. Et ce qu’il y avait d’heureux, c’est qu’ils étaient obtenus sans concessions compromettantes de notre part, c’est qu’ils n’effrayaient personne, c’est qu’au contraire ils paraissaient être une garantie de notre sagesse et de notre modération. L’Allemagne, qui avait longtemps redouté notre liaison avec la Russie, nous vit avec plaisir entrer en relations cordiales avec l’Angleterre. C’était une preuve que les mauvais desseins qu’elle nous avait prêtés n’existaient pas ou n’existaient plus. Nos rapports avec le gouvernement de Berlin jusque-là assez tendus, devinrent aussitôt plus faciles ; et, chose remarquable ! En devenant
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