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regards par-delà les frontières pour faire sentir au loin la main et l’action de la France. Ils ajoutent que l’extrême rapidité avec laquelle elle use les hommes, crée et renverse les ministères, ne saurait lui permettre les longs desseins et les efforts successifs sans lesquels il n’y a pas de diplomatie. À ces reproches les radicaux ont une réponse très commode : ils opposent hardiment la politique républicaine à la politique monarchique. Ce sont, à les en croire, deux choses, non-seulement différentes, mais contraires. La politique monarchique, s’appuyant sur les intérêts permanens, mais égoïstes, des nations, qu’elle cherche à faire triompher au moyen de combinaisons durables, a besoin, en effet, d’esprit de suite, puisqu’elle vit presque uniquement de traditions : il n’en est pas de même de la politique républicaine, laquelle ne croit ni aux intérêts permanens, ni aux traditions, et se fait une loi absolue du désintéressement ; son seul but étant l’émancipation des peuples, elle n’a d’autre souci que de préférer partout l’alliance des faibles, des opprimés, des sujets à celle des forts, des tyrans, des gouvernemens ; dès lors, elle est d’une simplicité telle que tout le monde peut la pratiquer avec le même succès. Que les hommes disparaissent, que les ministres changent, peu importe ! les peuples restent, et l’union des peuples subsiste sans peine à travers les chaos parlementaires, les crises ministérielles, les révolutions politiques. D’ailleurs, les radicaux repoussent comme un crime toute idée de conquête, toute velléité de domination sur les races plus faibles ou moins éclairées. Aussi n’ont-ils aucun besoin des qualités au moyen desquelles on arrive à préparer un gouvernement lointain et à le maintenir. Leur système est fondé sur une série de négations et sur une affirmation unique : la prétendue solidarité des peuples opposée à la ligue des oppresseurs.

En dehors de cette doctrine, qui compte des défenseurs très autorisés et qui fait chaque jour d’assez nombreux adeptes, il en est une autre dont les conclusions sont à peu près les mêmes, bien que les principes en soient fort différens. C’est celle que professent les partisans de l’effarement absolu de la France, de son abdication complète au dehors, de l’abandon total de sa politique extérieure. Par malheur, ces derniers sont encore plus nombreux et ont beaucoup plus d’influence que les radicaux. Il est à croire néanmoins que, si leur autorité est assez grande pour décider notre pays à laisser couler autour de lui le flot des événemens sans jamais s’y mêler, de peur que son cours ne soit troublé par des tempêtes ou, du moins, agité par des orages, elle ne le sera pas assez pour le consoler de la perte de son influence, de la destruction de son prestige et des conséquences matérielles qui en résulteraient. Elle peut sans doute le réduire à l’inaction dans des momens où il faudrait