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Lorsqu’elle s’est établie parmi nous, elle a trouvé la France complètement désorganisée par la défaite, mais possédant encore de tels élément de vitalité qu’il ne lui a pas été difficile de la relever, de la restaurer, de lui restituer sa prospérité d’autrefois. Ses adversaires lui ont rendu la tâche assez aisée ; leurs attaques intempestives et maladroites lui ont fait obtenir d’assez brillans succès. Peu à peu le pays est venu à elle, plein de confiance dans l’avenir qu’elle lui promettait. Les dernières élections ont été une manifestation éclatante, indéniable, de la force de la république. Presque partout l’opposition monarchique a été battue, presque partout le mouvement républicain s’est accentué avec une énergie si évidente que les plus sceptiques ont bien été forcés de reconnaître qu’il était irrésistible. Mais il ne faudrait pas, dans l’enivrement du triomphe, se faire illusion sur les retours possibles d’une opinion publique toujours mobile et changeante. Quelle qu’ait été la gravité de nos désastres en 1870 et 1871, la France, au moment de l’installation de la république, n’était pas plus au dehors qu’au dedans mortellement atteinte. Sans doute elle était isolée, sans alliés, et l’état de faiblesse où la laissait la défaite éloignait d’elle tous ceux qui aiment à s’appuyer sur les nations dont la vigueur est apparente ; sans doute aussi elle avait perdu deux provinces, sa frontière était mutilée, ses flancs déchirés. Il lui restait néanmoins des conquêtes du passé un magnifique héritage qui pouvait facilement être conservé et accru. Abattue sur le continent, elle avait conservé ses possessions et son prestige sur la Méditerranée ; l’Orient, habitué depuis des siècles à la considérer comme la première puissance de l’Europe, croyait à peine à ses malheurs ; sa belle colonie d’Algérie, un instant agitée par la révolte, était bientôt rentrée dans l’ordre ; elle n’avait besoin que d’un peu de courage et d’énergie pour compenser, comme elle l’avait fait sous la restauration et la monarchie de juillet, les échecs subis en Europe par des succès en Afrique et en Asie. Mais il fallait pour cela que la république eût toutes les qualités d’un grand, d’un vrai gouvernement ; qu’elle fût capable de prévoyance, de hardiesse et de persévérance ; qu’elle montrât de la promptitude dans ses résolutions, de la suite dans l’accomplissement de ses projets. Or en est-il ainsi ? C’est la question qui se pose aujourd’hui et que tout le monde commence à débattre avec passion. Malgré bien des fautes, la république a fait ses preuves à l’intérieur ; elle ne les a point encore faites à l’extérieur. Ses adversaires lui reprochent de n’avoir pas une conscience assez claire des grands intérêts nationaux ; d’ignorer ou de mépriser le passé ; de rompre par légèreté ou par outrecuidance avec ses meilleures traditions d’être tellement dominée par la vie journalière, par les petites ambitions et les petits soucis, qu’il ne lui est plus possible de jeter ses