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le baron de Stein, a amené au quatrième acte, joué par le prince de Bismarck, l’expulsion de l’Autriche, en attendant pour le dénoûment final l’incorporation des provinces allemandes de cet empire à l’empire allemand. Tant que survivait le dualisme des deux puissances au sein de l’ancienne confédération, la constitution de l’unité nationale restait forcément à l’état de vœu illusoire. M. de Bismarck expose dans une lettre du 12 mai 1859, écrite à Saint-Pétersbourg, le programme de sa politique, aussi nette dans ses vues que peu systématique dans ses moyens. Ses moyens, le chancelier allemand sait les varier suivant les circonstances, tandis qu’il marche vers son but avec une constance invariable. Personne ne lui a jamais attribué une grande sympathie pour le régime parlementaire. Ses procédés à l’égard de la chambre des députés de Prusse et la façon cavalière dont il traite au Reichstag les élus de la nation ne témoignent pas d’une sérieuse estime pour la volonté du peuple chez ce champion du droit divin. C’est pourtant au nom de la volonté du peuple, c’est avec le concours d’un parlement issu du suffrage universel qu’il propose de régler les destinées de l’Allemagne, sous l’impression encore vivace des souvenirs et des résolutions du parlement de Francfort, stimulé et encouragé par l’agitation unitaire du Nationalverein. Lorsque l’Autriche, de concert avec les états secondaires, vint proposer à la diète de confier les affaires de la confédération à une délégation des états allemands, M. de Bismarck n’hésita pas à demander comme la réforme la plus essentielle et la plus importante à introduire dans l’organisme fédéral l’élection d’une assemblée nationale, nommée au suffrage universel direct, en proportion du chiffre de la population des différentes parties de l’Allemagne. Lisez le mémoire du ministère prussien en date du 15 septembre 1863, et vous verrez cette espèce d’appel au peuple invoquer un parlement élu comme le seul moyen d’arriver à l’unité, en disposant les intérêts propres aux états particuliers de façon à servir l’intérêt de la communauté de l’Allemagne.

N’est-ce pas un étrange spectacle que cette démarche du plus autoritaire des hommes d’état se posant en face de l’Allemagne comme le champion de la démocratie ? Même à une époque comme la nôtre, féconde en contradictions, on peut s’étonner de voir le prince de Bismarck disposé à se mettre à la tête de la révolution et jeter aux princes le défi d’accepter l’annulation de leur autorité devant l’omnipotence de la souveraineté nationale. Dans les plans du futur chancelier de l’Empire, l’autorité des princes, nous entendons l’autorité des souverains secondaires, ne comptait pas plus que ne pèse aujourd’hui la volonté des mandataires du peuple, quand ceux-ci refusent de s’assouplir à ses vues. Mais la Prusse ne pouvait