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Elles s’étaient envolées aux quatre coins de l’Europe : du seul Robinet il n’existait nulle part un exemplaire complet. Vouliez-vous consulter telle série de ses lettres, on vous renvoyait de l’Arsenal à la Bibliothèque nationale, et de celle-ci à la Mazarine ; heureux si vous ne deviez pas poursuivre jusqu’au British Museum de Londres, à la Bibliothèque royale de Stuttgart ou jusqu’à Saint-Pétersbourg ! Un collectionneur qui n’épargnait ni son argent ni sa peine, M. le baron James de Rothschild, a fait rechercher et copier ces gazettes éparses. Aillé d’un ami dévoué, M. Émile Picot, il les a classées et annotées avec une patience, une délicatesse, une discrétion singulières ; il en a rédigé des tables, qui sont des modèles de clarté. Stendhal disait : « Un banquier qui a fait fortune a une partie du caractère requis pour faire des découvertes en philosophie, c’est-à-dire pour voir clair dans ce qui est. » Sans doute un Rothschild devait « voir clair » en ces matières d’érudition : le baron James a fait le jour dans ces archives de la chronique et, par une générosité plus rare encore chez un collectionneur que tous ses autres mérites, il a voulu que ce jour éclairât tout le monde ; ayant découvert un trésor et l’ayant paré de ses mains, il l’a donné au public.

Est-ce un trésor de poésie ? Non certes ! bien que les prétentions des auteurs pussent le donner à croire ; mais en ce temps-là sans doute les gazetiers n’étaient pas modestes. Nous avons vu de quel cœur léger Mayolas se glorifiait sur la tombe de son ami Loret. Boursault. pour le contentement de soi, peut lui rendre des points ; s’il entreprend une gazette, c’est par le conseil, nous dit-il, de « tous messieurs les beaux esprits ; » de Corneille d’abord et de Quinault, et « d’un autre homme illustre, »


Qui du Languedoc est le lustre
Et qui, Cadejous, est tout Cur[1].
(Boyerius subauditur.)


Fier de ces suffrages, il acquiert encore celui de Mlle de Montpensier, à qui, le 23 août 1665 il écrit, avec force tours d’humilité : « N’estoit que je suis un Autheur modeste, je vous dirois pourtant. Mademoiselle, que ma première Gazette fut receue à la Cour plus favorablement que je ne l’espérois ; Madame eut la bonté de dire qu’il n’y avoit que moy qui fust capable de la faire… Je sens bien que je me sçay bon gré de m’être attiré un suffrage si considérable. Et si, pour comble de bonheur, V. A. R. me faisoit la grâce de m’honorer du sien, j’aurois de la peine à me changer contre le grand Corneille, à moins qu’il ne me donnast quelque chose de retour… »

Robinet, semble-t-il, a un sentiment plus modéré de son mérite ; il dit bien à sa muse :

  1. Tout cur, tout cœur en gascon.