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Quoi de surprenant ? On sait qui fut Loret. Le fondateur du petit journal en France, comme Renaudot fut celui du grand, — si du moins, comme le veulent les locutions courantes, un journal est grand ou petit, non pas selon son format, mais selon le plus ou moins de sérieux qu’il affecte. La Gazette de Renaudot, en prose, était le Journal des Débats ou le Parlement de l’époque ; la Muse historique de Loret, en vers, en était le Figaro ou le Gaulois, et le contraste des deux genres était d’autant plus vif qu’il n’existait alors qu’un spécimen de chacun. Deux journaux pour toute la France, voilà qui nous paraît maigre : on n’avait pas alors tant de fausses nouvelles qu’aujourd’hui pour faire attendre les vraies. Encore ces deux journaux n’étaient-ils qu’hebdomadaires, et rédigés chacun d’une seule plume. Le merveilleux est que, des deux, le plus grave était le plus riche ou, du moins, celui qui nourrissait le mieux son homme : ô différence des temps ! Cependant la Muse historique, d’abord manuscrite et adressée seulement à la duchesse de Nemours, puis imprimée à douze exemplaires, avait peu à peu augmenté son tirage :


Demoiselles, hautes duchesses,
Dames, marquises et comtesses,
Femmes d’honneur, femmes d’amour,
Prélats forains, prélats de cour,


tels sont les lecteurs et lectrices auxquels Loret, le 3 janvier 1654, réclame le prix de leur abonnement. « Femmes d’amour » entre « femmes d’honneur » et « prélats,.. » — on reconnaît là déjà cette variété de clientèle qui fait la fortune d’un journal frivole au grand scandale de ses envieux : c’est que déjà elle se justifie par la variété des matières, et cette variété nous la retrouvons dans les Continuateurs de Loret. Quelques nouvelles de guerre, quelques annonces de promotions dans la diplomatie ou l’armée, çà et là un bref courrier de l’étranger ou de la province, un bulletin de la santé des rois et des reines, des voyages des princes ou des princesses ; beaucoup d’anecdotes de la ville, encore plus de la cour ; des mentions de faits divers, de crimes ou d’accidens, des récits de fêtes ou de spectacles, de chasses ou de comédies, de soupers et de ballets, tel est l’ordinaire contenu de ces gazettes. Les événemens publics n’y tiennent que la moindre place ; les tableaux de la vie privée en occupent la meilleure ; il est vrai que la plupart du temps les héros de ces tableaux sont tels que leur vie privée intéresse le public ; mais Robinet a autant de hâte qu’un chroniqueur d’aujourd’hui de quitter la politique pour les échos et les nouvelles du jour :


Cherchons chez les Particuliers
Des événemens singuliers !