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de ses oreilles. Il les vantait trop, ce qui causait à Zeïneb de furieux accès de jalousie. Mais il savait tout concilier. Il aimait Zeïneb, il aimait Marigo, et il se proposait de les mettre toutes les deux dans son harem, qu’il s’occupait déjà de meubler et dont il entendait faire le plus beau des harems.

Hélas ! ses rêves ne devaient pas s’accomplir, son bonheur ne devait pas durer. Sa mère, sa vraie mère, celle dont le mari avait été égorgé, n’avait jamais désespéré de retrouver son fils, et d’enquête en enquête, un accident heureux lui Et découvrir où il était. Les temps étaient changés, les passions s’étaient apaisées. Cette mère qui voulait ravoir son bien avait des intelligences au sérail ; elle était liée d’amitié avec l’une des filles du sultan Mahmoud, avec la sultane Giulzadé, épouse du grand-vizir d’alors. Elle mit tout en œuvre, fit jouer tous les ressorts ; le pacha Karaosmanoglou fut sommé de livrer l’enfant. Il s’y refusa d’abord, car l’enfant lui était cher. Forcé dans ses retranchemens, il s’exécuta de mauvaise grâce en demandant 42,000 francs dans l’espoir qu’on ne les trouverait pas. La mère les trouva ; les mères trouvent toujours. On n’osa pas dire à Ali-Kourschid le sort qui l’attendait. On le conduisit à Smyrne sous la garde de Zeïneb, qui était dans le secret et s’était chargée à contre-cœur de conduire cette ténébreuse intrigue. Elle lui proposa d’aller visiter avec elle un navire franc. On le fit boire ; il s’endormit. À son réveil, il appela Zeïneb ; Zeïneb s’était envolée, le navire avait gagné le large, et le capitaine apprit à cet amant trahi qu’il avait mission de le rendre à sa mère. Il éclata en imprécations, il invoqua Mahomet et l’ange Gabriel, il dégaina son kandjar, il aurait voulu tout massacrer. Mais il avait dix ans ; il ne massacra personne.

Il conservait toutefois des illusions qui adoucissaient son chagrin. Il se flattait que cette vraie mère qu’il allait retrouver était femme de quelque pacha, et il fut confirmé dans son agréable erreur lorsqu’en débarquant à Constantinople il fut conduit dans le harem du grand-vizir. C’était bien autre chose qu’un harem de Magnésie. Il s’y trouva en présence de très nombreuses sirènes merveilleusement belles, qui parlaient la plus douce, la plus mélodieuse des langues et dont le babil mignard et la voix musicale chatouillaient ses oreilles et son cœur. Il passa toute une après-midi dans un jardin magnifique, arrosé d’eaux jaillissantes, peuplé de petits chiens, de petits chats, d’ouistitis, de canaris, de rossignols à qui on avait crevé les yeux, de perroquets qui savaient le turc et répondaient à tout ce qu’on leur disait. Mollement étendues sur des tapis de Syrie, les sirènes fumaient en dégustant un délicieux café de Moka. Quelques-unes chantaient ou soupiraient des airs voluptueux ; d’autres, comme prises d’un subit délire, poussaient tout à coup de grands cris. Des tables étaient chargées de coupes de rossolio et de mille friandises ; des parfums capiteux s’exhalaient de cassolettes