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ressuscité entre dix et quinze ans. Il s’en félicite, et il a raison. Il a bien employé sa vie ; il est devenu un homme de mérite, un homme fort instruit. Après avoir pris ses grades à l’université d’Athènes, il a habité successivement l’Italie, l’Allemagne, la France, l’Angleterre ; il sait l’italien, l’allemand, le français et l’anglais. Il a été plus tard voyageur et à la fois archéologue et touriste politique. Il a étudié avec soin les provinces grecques qui ne jouissaient pas des bienfaits de l’indépendance, qui gémissaient encore sous la verge du padichah. Ses laborieuses recherches ont profité à son pays. Nous apprenons par un gracieux article que M. Henri Houssaye lui a consacré dans le Journal des Débats qu’il a été durant vingt ans attaché militaire à Paris et qu’il a publié une excellente Grammaire française en grec moderne. Il peut être content de lui, il n’a pas perdu son temps, et cependant les dix années qu’il a passées chez les morts sont demeurées dans son imagination comme la page la plus lumineuse de son histoire.

À vrai dire, il n’était pas tout à fait mort, il se trouvait plongé dans une douce torpeur de l’esprit et de l’âme, accompagnée de rêves délicieux. En ressuscitant Basile Miltiade, on l’a réveillé en sursaut, ce qui est toujours déplaisant. Parmi ses lecteurs il s’en trouvera peut-être plus d’un qui voudrait s’être perdu comme lui et n’avoir pas été retrouvé, avoir dormi et rêvé comme lui et ne s’être pas réveillé. Ils auraient tort, il est le premier à le leur dire ; mais il éprouve le besoin de se le dire à lui-même. Il y a en lui comme un incrédule qu’il cherche à convertir, et c’est le charme de son livre, qui n’a pas été écrit par un pédant. La morale est la plus importante des sciences divines et humaines, mais elle n’est pas toute la philosophie. M. Nikolaïdy est plus philosophe que moraliste, et ses lecteurs lui en sauront gré.

Qu’on se représente un petit Pérote, ne le 1er janvier 1821, au moment où éclatait l’insurrection grecque et où, par mesure de représailles, le sang des chrétiens allait inonder les rues de Constantinople. Son père est décapité ; sa mère, âgée de dix-sept ans et fort belle, réussit à se soustraire aux outrages, à se cacher, mais elle n’ose le garder auprès d’elle. Un de ses oncles se charge de lui et de sa nourrice ; on l’emmène à Chio, comme dans un asile sûr. Au bout de quelques mois, à l’instigation des Samiens, la pacifique Chio se révolte ; l’insurrection est étouffée dans le sang. L’enfant a été emporté par son oncle dans une grotte. Un esclave noir, nommé Selim, et trois farouches agas découvrent les fugitifs, les détroussent, se partagent leurs dépouilles, après quoi l’oncle et la tante du petit Basile sont égorgés et lui-même est conduit avec sa nourrice chez le pacha de Magnésie, chez le puissant Karaosmanoglou, vrai satrape de l’Asie-Mineure, à qui appartenait le noir Selim. Il se trouva que le petit Basile était beau comme le jour, qu’il avait des cheveux d’or, qu’il avait des yeux d’azur. Il plut aux femmes du pacha, il plut aux quatre