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Marlborough, sans être incrédule, ne possédait pas cette arme précieuse contre les désillusions et les douleurs. Elle avait conservé quelques amis choisis, dont les attentions la touchaient : lady W. Mary Montague, sa fille lady Bute, l’évêque de Chichester, Pelham, « le seul ministre poli pour elle depuis bien longtemps, » Fielding, Steele, lord Chesterfield, William Pitt, William Penn. Quant aux princes, elle ne conservait plus la moindre illusion sur leur compte. Elle avouait franchement qu’elle ne risquerait pas la plus petite chose pour aucun de ceux qu’elle connaissait personnellement, ou de réputation. Lady Marlborough passa les six ou sept dernières années de sa vie, surtout à Windsor ; à Marlborough-House, il y avait trop de monde et si peu de gens qui eussent le sens commun ! Blenheim était trop vaste, Holywell trop loin, Wimbledon trop humide, etc., etc. « La résidence de Windsor est dans de bonnes proportions ; passé une certaine heure, je suis sûre de n’y voir personne. Je ne souhaiterais que de pouvoir me promener dans le parc et dans mes jardins, mais hélas ! ceci m’est défendu, car je suis ordinairement enveloppée de flanelle et roulée, de chambre en chambre, dans une chaise. Ne vivre que pour avoir la goutte, cela ne fait pas désirer que la vie dure longtemps. » Aussi la pauvre duchesse cherchait-elle tous les moyens de se distraire. « J’ai trois chiens que j’aime beaucoup, disait-elle, ils ont tous de l’esprit, du sens commun et de la reconnaissance, trois choses très rares chez les hommes. Ils aiment à sortir avec moi, mais quand je raisonne avec eux et leur dis que ce n’est pas convenable, ils se soumettent ; ils guettent mon retour et me reçoivent avec autant de plaisir que si je ne leur avais jamais donné de bons conseils. »

On est heureux de voir que les bonnes œuvres tenaient leur place parmi les occupations de l’opulente octogénaire ; pourvu qu’on lui apportât des preuves d’honorabilité, on pouvait compter sur son aide et Dieu sait si les demandes étaient nombreuses ! Elle fonda plusieurs maisons et œuvres de bienfaisance dont quelques-unes existent encore, entre autres un asile à Saint-Albans, pour les femmes du monde tombées dans le malheur.

Cette belle intelligence ne connut pas la décrépitude ; l’esprit et la volonté restèrent entiers jusqu’à la dernière heure. En 1741, Horace Walpole écrivait à un ami : « On dit que la vieille Marlborough se meurt, mais qu’en sait-on ? L’année dernière, après une crise terrible, ne parlant plus depuis un temps assez long, elle entendit le médecin affirmer qu’il fallait un vésicatoire, que sinon elle mourrait : « Je ne veux pas de vésicatoire et je ne veux pas mourir, » s’écria-t-elle. Si elle prend la même résolution, vous verrez qu’elle en reviendra, » et elle en revint si bien, qu’elle ne mourut qu’en 1744,