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sans nombre, portées contre elle pendant si longtemps et publia la Défense de sa conduite durant ses années de services près de la reine Anne. C’est une œuvre remarquable : la clarté du récit, la simplicité énergique du style, la franchise hardie des sentimens lui donnent un cachet de sincérité indiscutable. Aussi cette publication, lue avidement par les contemporains, fut-elle très mal attaquée par des écrivains en général obscurs, et fort bien défendue par des plumes estimées, comme celle de Fielding. Horace Walpole s’est montré féroce dans sa haine pour la duchesse, comme pour les autres ennemis de son père : c’est à peu près la seule preuve d’affection qu’il ait donnée à celui-ci. Il faut se méfier beaucoup des jugemens portés par cet esprit charmant sans doute, mais égoïste, fut et rancuneux, qui s’écoute raconter avec la plus vive satisfaction, sans se préoccuper beaucoup de la vérité. La duchesse, craignant sa propre inexpérience comme écrivain, se fit aider dans l’ordonnance de son travail par l’historien Hooke, à qui elle donna 125,000 francs d’honoraires. Puis, un beau jour, elle crut s’apercevoir qu’il cherchait à la convertir au catholicisme et le congédia avec sa vivacité habituelle. À cette époque, les infirmités la retenaient souvent alitée, mais rien n’interrompait son travail, et quand elle ne pouvait pas écrire, elle dictait cinq et six heures par jour. Ce fut alors qu’elle mit en ordre ses Notes et Impressions, les Portraits de ses contemporains les plus marquans, et prépara pour les historiens futurs les nombreux documens qu’elle possédait touchant lord Marlborough et lord Godolphin, les deux hommes qui résumaient en eux quinze années de l’histoire d’Angleterre. Ce sont les fameux Blenheim Papers, véritable mine dans laquelle on a tant puisé depuis. Cette tâche lui tenait au cœur ; ce fut sa dernière joie. « Ne pourra-t-on pas avec cela, disait-elle, écrire l’histoire la plus intéressante du monde ? » Et elle ajoutait, fière de l’époux et de l’ami : « Je ne souhaiterais rien de plus, si j’étais homme, que de mériter de l’histoire un pareil témoignage. »

Elle avait quatre-vingt-quatre ans lorsqu’elle écrivait ceci à l’un de ses fidèles : « Quand le dernier coup devra me frapper, tout ce que je demande, c’est qu’il ne soit pas trop pénible : il faut bien mourir. Quel que soit l’autre monde, il ne pourra qu’être meilleur que le nôtre, et l’on aura du moins la satisfaction de ne plus entendre parler de ce qui se passe ici-bas. » Cette nature énergique avait, on le voit, des heures de misanthropie. Elle avait eu trop d’occasions d’étudier les hommes, ce mauvais monde, selon son expression, elle avait fait trop d’ingrats pour ne pas voir parfois la vie à travers un voile sombre. Une ardente foi religieuse peut seule écarter l’amertume de la fin d’une longue existence et lady