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leurs faveurs, et ceux qui leur disent cette vérité passent à leurs yeux pour des fous. Quand il vous plaira de l’entendre, sir Robert, je serai enchantée de vous revoir. Maintenant que je me suis soulagée, parlons poliment de tout ce que bon vous semblera. »

On sait quelle confiance la reine Caroline témoigna toujours à Walpole ; il n’en fallait pas davantage pour éloigner d’elle lady Marlborough, dont l’esprit et la plume s’exercèrent à ses dépens jusqu’à l’injure. On doit néanmoins reconnaître qu’elle avait personnellement des griefs sérieux.

L’administration du domaine de Windsor devint la source d’une foule de petites vexations mesquines, vraiment honteuses pour une reine d’Angleterre. Aussi, lorsqu’elle mourut, la duchesse s’écria : « Comme ce n’est pas un crime de haute trahison, j’avoue franchement que je n’en suis pas fâchée. » — Lady Marlborough survécut vingt-deux ans à son mari ; jusqu’à la fin, elle conserva sa forte intelligence et son activité d’esprit. Ses facultés semblaient se développer et s’affermir avec les années ; dans les portraits de ses contemporains, elle en arrive à la divination et à la prophétie. Son étonnante sagacité, développée par une situation exceptionnelle, une longue expérience, le contact de tant d’individualités diverses, la part active qu’elle avait prise aux événemens les plus importans, tout cela réuni donne à ses écrits un grand intérêt historique, bien qu’elle n’ait jamais eu l’idée de passer pour une femme auteur. Le goût des livres lui était venu ; elle lisait les philosophes anciens et modernes et les commentait finement. Quant à devenir philosophe elle-même, sa nature passionnée s’y opposait absolument. Personne n’eut plus qu’elle le sentiment exagéré de ses droits, le ressentiment des atteintes qu’on y portait, l’intuition du mal qu’on voulait lui faire ou de la prétention à la tromper. « Aussi, dit lady Mary W. Montagne, le plus vindicatif des chefs de clan n’eut jamais plus de querelles. »

La construction de Blenheim troubla singulièrement la tranquillité de la belliqueuse duchesse. Le British Museum possède sa correspondance manuscrite avec son architecte et ami dans le principe, sir John Vanbrugh. Tous deux s’y montrent également violens, mais il faut reconnaître que les malversations et les maladresses de l’un excusent le mécontentement de l’autre. Toute l’Angleterre s’amusa de cette querelle et, en somme, donna tort à Vanbrugh. Le palais de Blenheim, plus massif que grandiose, sans unité de plan, d’un style travaillé, disparate, ne peut être considéré comme une belle œuvre d’architecture. Du reste, lady Marlborough le jugeait très sainement lorsqu’elle écrivait dans sa vieillesse : « J’ai toujours été contraire à l’idée de construire un monument si coûteux, et j’ai pris autant