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conseils au sujet de sa fortune, qu’elle savait fort compromise, elle le priait de demander à la duchesse de veiller sur leurs enfans pour l’amour d’elle. La réponse fait trop d’honneur à lady Marlborough, pour que nous la supprimions : « Je vous retourne la précieuse lettre que vous m’avez envoyée hier. Vous croirez facilement qu’elle m’a fait verser bien des larmes, et vous pouvez être certain que jusqu’à mon dernier jour, j’observerai religieusement tous les désirs de ma pauvre enfant. Je suis heureuse de voir que ma propre inclination m’avait déjà déterminée à faire tout ce dont elle parle, avant de connaître sa pensée. » La duchesse entre ici dans le détail des arrangemens qu’elle médite pour ses nouveaux hôtes, quatre fils et une fille, et termine ainsi : « Veuillez, aussitôt que vous en aurez le loisir, m’envoyer quelque petit objet porté à l’ordinaire par ma précieuse enfant, et dites à Fanchon (sa femme de chambre) de mettre de côté la petite tasse dont elle se servait le plus souvent. Elle-même m’avait donné de ses cheveux, il y a peu de temps, mais peut-être Fanchon pourra-t-elle me donner une de ses belles boucles, dans toute sa longueur. »

Le comte de Sunderland, parfaitement ingrat, épousa, quelques années après, une femme très inférieure, sans fortune, et l’avantagea aux dépens de ses enfans, ce que son ex-belle-mère ne supporta pas sans récriminer vertement. Pour se venger, il fit courir le bruit qu’elle intriguait avec les jacobites contre le nouveau régime qu’elle avait tant aidé à faire triompher. Elle méprisa d’abord l’attaque comme trop absurde, mais ayant appris que le roi s’en était ému, elle prit, selon son habitude, le taureau par les cornes et se présenta au lever de sa majesté. La réception fut glaciale. Alors elle demanda une audience par l’entremise de la favorites du moment, la duchesse de Kendal, et vint s’expliquer avec George Ier. Comme il ne parlait pas anglais, la duchesse de Kendal servit d’interprète et remit en même temps au roi une défense écrite. La réponse ne fut pas de nature à satisfaire lady Marlborough : « Quoi qu’on m’eût dit de vous, madame, je crois avoir toujours prouvé en toute occasion, ma haute estime pour les services du duc votre mari, et je suis prêt à ne juger lui et vous que d’après votre manière de me servir. Sur ce, je prie Dieu, milady Marlborough, de vous conserver en santé et bonheur. G. R. »

George Ier disait vrai en ce qui touchait le duc. Cette lettre était écrite en 1720. Déjà en 1716, Marlborough, frappé d’une première attaque d’apoplexie, avait offert sa démission au roi, qui l’avait refusée. Ses facultés affaiblies, mais non oblitérées, comme on l’a prétendu, lui permirent de remplir encore ses principaux devoirs comme membre de la chambre des lords et directeur des affaires