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depuis le prince jusqu’aux plus obscurs, et cela de la façon la plus ouverte, même devant vos serviteurs, voilà des fautes et des fautes dangereuses. Elles diminuent l’influence d’une personne si haut placée, si bien douée et créent sûrement des ennemis. » Et le bon évêque continuait ainsi pendant plusieurs pages « avec tout le respect et l’estime imaginables. » La duchesse se fâchait-elle ? Nullement. Sa nature, vraiment généreuse au fond, savait reconnaître les amis sincères. Elle répondait ainsi : « J’ai reçu votre lettre du 26 août, dont je vous remercie infiniment. J’ai lu Montaigne et je me rappelle qu’il dit quelque chose comme ceci : que l’on ne peut donner une plus grande preuve d’amitié qu’en s’exposant à déplaire à un ami pour le servir. Je suis tout à fait de son opinion… En cela j’imiterai votre amie Di (lady Diana Spencer, sa petite-fille, qu’elle adorait), qui, lorsque je m’excuse de la prêcher pour son bien, me répond toujours qu’elle m’en aime d’autant plus… Je ne m’aveugle pas sur moi-même au point d’ignorer que j’ai de nombreuses imperfections. »

Lady Marlborough s’exprimait ainsi en 1726, à l’âge de soixante-six ans, lorsque mille blessures de cœur et d’orgueil avaient pu aigrir son humeur. Revenons à l’année 1708, où la mort du prince de Danemark fut l’occasion d’un rapprochement momentané entre la reine et sa première favorite. Celle-ci en a donné un récit trop caractéristique pour que nous le laissions de côté. C’est de l’histoire « d’escalier de service, » comme le disait dédaigneusement Walpole, qui cependant n’en faisait guère d’autre, mais qui ne sait combien cette histoire-là influe sur la grande histoire officielle ?

La duchesse était à Windsor depuis quelques semaines, lorsqu’elle apprit l’état alarmant du prince. Elle partit la nuit, oubliant ses griefs pour ne penser qu’au chagrin de sa maîtresse et vint offrir ses services, bien qu’à leur dernière entrevue elle eût été traitée d’une façon incroyable et difficile à imaginer. « Je fus admise, ajoute-t-elle, et j’assistai aux derniers momens du prince. Je conduisis la reine dans son cabinet à Kensington. Là je m’agenouillai devant elle et lui dis tout ce qui pouvait venir du cœur d’une fidèle servante qu’elle avait dit tant aimer. Elle ne paraissait pas y faire grande attention, se tordait les mains et se montrait fort affligée. Après avoir cherché tout ce qui pouvait modérer sa douceur, je restai quelque temps à genoux, sans parler, puis je la priai d’aller à Saint-James ; elle répondit qu’elle voulait rester là. Rester dans cette lugubre maison ! je lui dis que c’était impossible et je cherchai tous les argumens imaginables pour la décider ; ce fut en vain. Elle voulait rester à Kensington. L’idée me vint que la grande difficulté était sa crainte de ne pouvoir jouir aussi