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prérogative royale et moins disposée que ne l’avait été la princesse Anne, à toujours céder, et en tout.

Tout alla bien d’abord. Le comtesse, devenue grande-maîtresse et trésorière, était partout avec la reine. On la considérait comme la personne la plus importante du royaume, comme la grande dispensatrice des honneurs, des places, des pensions ; on l’accusa même de les vendre, ce dont elle se défendit avec indignation, et pour arrêter la calomnie, elle fit rendre un décret qui prohibait ce trafic très habituel. L’Angleterre était à ses pieds ; lord Rochester lui-même, l’oncle maternel de la reine, l’ennemi personnel de la favorite, « l’épine qu’elle avait toujours eue dans le pied, » venait à elle en solliciteur. Elle assurait qu’elle savait pardonner les injures ; néanmoins, par un fâcheux hasard, la place que demandait lord Rochester pour quelque protégé était toujours prise ou promise. Marlborough et Godolphin, tous deux sages et modérés, trop modérés selon l’impétueuse Sarah, conservaient des amis dans les deux partis ; toutefois le ministère fut modifié dans un sens qui leur était presque hostile. Résolue, mais adroite, lady Marlborough « voulut essayer si elle ne pourrait pas, petit à petit, modifier l’opinion de la reine sur les whigs, qu’on lui avait appris à considérer, non-seulement comme des républicains haïssant jusqu’à l’ombre de l’autorité légitime, mais aussi comme des ennemis implacables de l’église anglicane. » Il faut entendre la sarcastique « politicienne, » malmener ces partisans de la « haute église » qui ne prouvaient leur respect pour la chose qu’en se servant à tout propos du mot, comme d’un talisman, pour ensorceler les esprits. » Et la pauvre, fidèle, malheureuse Morley de répondre : « Je ne voudrais différer d’opinion avec vous en la moindre chose, mais sur ma parole, chère madame Freeman, votre idée d’un tory est très erronée. Toutefois je ne veux pas en dire davantage sur ce sujet ; je vous supplie seulement, pour l’amour de pauvre moi, de ne pas montrer plus de bienveillance à vos amis qu’à ceux de l’église. »

Marlborough lui-même avait à souffrir des impatiences de l’impérieuse favorite, elle lui reprochait sa fidélité à d’anciens amis, sa politique de conciliation ; elle s’irritait de ne pouvoir lui souffler sa haine des tories ; et le mari harcelé ne trouvait pas dans les grandeurs un dédommagement suffisant aux orages de son intérieur.

Rarement homme revenu des premières erreurs de la jeunesse posséda à un plus haut degré l’amour du foyer et les vertus domestiques. Rien de plus touchant que ses lettres à sa femme et sa tendresse pour ses enfans. « Vous ne sauriez croire, lui écrivait-il un jour, pendant les premières années de leur union, combien je suis charmé des enfans. N’ayant personne que moi (lady Churchill était